• Mon chéri on ther road – 17

    Pour faciliter mes trajets vers Paris et la Seine-et-Marne, j’ai posé le fourgon à Saint-Nazaire où la gare est bien desservie. Et malgré les grèves, j’ai réussi à me rendre à Chelles, Lagny, Paris, Vaux-le-Pénil, Melun pour des rencontres organisées par la Maison des écrivains et de la littérature dans le cadre du Prix des lycéens. Fatigantes, stimulantes, nécessaires. De ces rencontres une élève en classe Tassp (accompagnement, service et soins à la personne) dira la force et la confiance qu’elle y a puisé. Ces mots donnent sens à mon travail et balaie les doutes. Tant pis si une partie du monde littéraire ne s’intéresse pas à mes écrits. Des jeunes s’en emparent et c’est joyeux.
    Après avoir couru après RER, TER et autres TGV, je rentre fourbue et me pose chez une amie avant de reprendre le volant. Je n’irai pas très loin car les grands axes sont occupés ainsi que les raffineries de Donges. Le monde du travail est en colère – ah bon ? Alors en cette période de refus, de barrage contre le mépris et l’impossibilité de mettre du carburant dans Mon Chéri, je me pose ça et là dans la ville afin de la connaitre mieux. Les emplacements ne manquent pas et de partout j’entends les mouettes.
    Aujourd’hui, je me suis arrêtée vers le parc paysager et la piscine (le maillot est prêt). Je vais photographier les alentours puis retourne dans le fourgon pour écrire, lire et me tenir au courant des événements, y participer éventuellement. Rester ici me va car j’aime cette ville et c’est ici que je me sédentariserai un jour. Décision prise un soir où une amie organisait un pot de départ au café Sous les palmiers. L’océan se laissait voir par les vitres, les gens présents étaient chaleureux, joyeux et drôles. Gens de tous les âges et de tous les milieux (il me semble). Les discussions étaient fluides et cela dansait vers la sono. J’ai regardé le lieu avec le recul d’une photographe cherchant le bon cadre puis j’ai pensé : Oui, je fais partie de cette ville. Ville découverte, il y a 6 ou 7 ans, le temps d’une résidence organisée par le CCP sur le thème du travail en horaires décalés qui m’avait permis de rencontrer ouvriers, intérimaires, femmes de ménage, tourneurs, soudeurs, etc. Un livre en découlera : 44 Brèves de Saint-Nazaire.
    Aujourd’hui le vent agite le ciel et les arbres. Le soleil hésite, lumières changeantes. Le front de mer attire les touristes et les nouveaux habitants. Les chantiers, les usines, les silos calment l’ardeur des investisseurs immobiliers, préservant la mixité sociale dont la ville tire un dynamisme singulier. Saint-Nazaire pas toujours séduisante et certains vont jusqu’à la qualifier de laide, alors je chantonne avec Delphine Coutant des paroles que je fais mienne :

    Comment peux-tu dire de ma ville qu’elle est laide ?

    Quand elle se dresse fière face à l’Océan

    Quand dans ses artères peut circuler le vent

    La nomade que je suis, a trouvé son port d’attache et je mesure, subitement, toute la force de cette expression.

  • Mon Chéri on the road – 16

    Lanildut dans le Finistère, pays d’Iroise – Mon fourgon posé sur le terrain d’une famille qui retape une ancienne bâtisse. Héritage qui occupe. Préoccupe. Les enfants fréquentent une école Diwan, le drapeau breton flotte sur le jardin et toute la famille est soucieuse de mon bien-être. Électricité, toilettes et douche chaude à disposition. Les enfants s’invitent parfois dans le fourgon et, à la lumière d’une bougie, je leur lis de la poésie. Ils me récompensent avec des dessins de licornes. Commerces et chemin côtier sont accessibles à pied.
    J’aime prononcer ce nom de Lanildut qui vient du breton et du gallois : Ermitage. Langue étrangère à mes racines qui puisent dans les langues celtiques et indo-européennes. Pays catholique, pays des abers, pays qui m’est délicieusement étranger. Le matin, j’écris puis je pars pour de longues balades sur le GR 35. Décor qui change plusieurs fois par jour selon la position du soleil, les marées, la pluie et l’humeur du vent. Je ne m’en lasse pas. Devant les 11 mètres carrés d’un ruskos qui fut maison de guet au 18 ème siècle et actuellement propriété de l’artiste Jean-Luc Salmon, je rêve : Deux fois plus grand que mon fourgon !
    Parfois, je m’offre une boisson chaude au bar, restaurant, librairie Le Chenal et repars lestée de livres sur le voyage, dont Un squat sur un plateau qui narre et analyse l’incroyable expérience d’un squat dans l’ancien collège Maurice Scève à Lyon qui accueillit jusqu’à 400 jeunes mineurs-migrants grâce à un fonctionnement autogestionnaire improbable et pourtant efficace. J’avais participé à quelques événements là-bas et mon étonnement devant cette folle expérience. Au Chenal, je suis bien. Ceux et celles d’ici trouvent que c’est un repaire à touristes. Personnellement j’y trouve un lieu apaisant et accueillant.
    Un jour de grand vent j’ai croisé sur le chemin un curé en soutane, bel homme d’une cinquantaine d’années, qui retenait difficilement, face aux assauts de la bourrasque, les pans de son ancestral vêtement. J’ai eu quelques mauvaises pensées, puis me sont revenues des images, un peu plus austères, du film de Maurice Pialat : Sous le soleil de Satan.
    Mes nuits sont agitées : coup de vent, pluie et pas mal de froidure. Électricité capricieuse. Les matins sont une résurrection.
    Profitant d’un covoiturage j’ai visité Brest un jour de grisaille et de très grand froid. Brest liée à mon frère Claude qui s’était engagé dans la Marine nationale pour trois ans, puis habita quelques temps la ville. Il nous envoyait des lettres bien écrites et drôles, à nous sa famille restée en Lorraine. L’adolescente que j’étais, puisa dans cette ailleurs la force de partir un jour. A Brest, j’ai longé le port pour finir dans une sinistre impasse. J’ai traversé le centre-ville à l’architecture typique des villes détruites par la guerre, si propice aux courants d’air, j’ai poursuivi jusqu’au quartier Saint-Martin dont les façades de maison osent des couleurs franches et vivifiantes. En moi a résonné la chanson de Miossec :

    Tonnerre, tonnerre, tonnerre de Brest
    Mais nom de Dieu, que la pluie cesse

    Le lendemain, sur le chemin côtier, une femme engoncée dans une doudoune protectrice, prononce mon prénom. En face de moi Pauline Guillerm qui a été stagiaire d’une formation que j’ai animée pendant de plusieurs années au Crefad de Lyon. Maintenant, elle écrit du théâtre, met en scène ses textes et mène un joli chemin en écriture. Nous partageons un verre au Chenal. Deux grandes bavardes qui tentent de résumer leur parcours de vie, cela donne un peu le tournis.
    Presque chaque matin, dans la fraicheur du fourgon aux vitres givrées, pendant que l’eau bout et réchauffe l’espace, mes pensées me ramènent au peuple ukrainien qui connaît le froid désespérant de la météo et, aussi, de la destruction et de la peur. Pays si proche et pourtant l’Europe bien timorée. Comme toujours les alliés réactifs seulement quand l’intégrité de leur propre pays est en jeu. Toujours trop tard car le drapeau de la liberté sera hissé sur une montagne de cadavres. C’est la jeunesse qui meurt en Ukraine pendant qu’en France l’inflation engraisse les puissants.
    Je retourne sur le chemin côtier. Le vent roule les vagues, emporte les oiseaux. La lumière est fabuleuse. Je ne sais plus rien penser du genre humain dont je fais pourtant partie : `

    En moi n’ai ni venin ni fiel :
    ne me reste rien sous le ciel,
    tout passe et va.
    Rutebeuf


  • Pierre

    Il vit à Saint-Marc commune de Saint-Nazaire. Depuis toujours. Sa maison n’est pas loin de la fameuse plage où se tourna le film Les Vacances de M. Hulot du non-moins fameux Jacques Tati. Il figure un des enfants que l’on aperçoit dans certaines séquences, il avait 11 ans. Mémorable été 1952.
    Instituteur dans la même ville sa devise aura été tout le long de sa carrière : Aux enfants, il faut apprendre à lire et à nager. Et ils auront été nombreux, garçons et filles, à savoir nager et lire grâce à lui.
    Dans sa maison on peut voir ses bricolages (c’est le terme qu’il a employé) où il tisse fils et objets trouvés sur les plages. Il aquarellise (c’est le mot qui me vient) les oiseaux, les crustacés et surtout les paysages de l’île d’Houat qu’il connaît comme personne. Chaque année il loue une maison ouverte aux ami.es et se souvient des années 70 quand il venait en famille camper de manière dites sauvage sur les rives de l’île avant qu’un camping ne cadre l’afflux des touristes. On peut emporter ses dessins et les textes qu’il commande auprès de son entourage dans des livres auto-édités avec soin. Il y a chez cet homme, devenu un ami, un appétit de vie contagieux même quand il fait son cabochard sans que jamais une lueur de malice ne quitte son regard.

  • Mon Chéri on the road – 15

    La Fête de la poésie jeunesse est finie et la phrase qui me vient est : Je suis repue de poésie, d’enfance et d’amitié. Repue, oui, car j’ai toujours eu faim de cela. Ma première destination sera le Chemin des dames, pas très loin dans l’Aisne. Est-ce d’avoir eu des parents qui ont vécu la deuxième guerre mondiale, dont ma mère du côté allemand, qui me pousse vers ces lieux ? Je m’arrête dans un cimetière militaire traversé par un froid terrible. Je me sens mal. Aujourd’hui j’ai besoin de me tenir du côté des vivants. Je reprends le volant, direction le Calvados et vers ma première nuit à moins quatre.
    Dieppe. Je gare le fourgon et profite de l’immense plage de galets. Il y a du soleil, des gens, l’océan et un ciel sans nuages. Je photographie. Je m’assoie. Je respire. Vers le port, je rentre dans un bar alors que je n’ai aucunement soif. Il m’a aimantée. Serait-ce le bar où à l’âge de dix-sept ans avec mon amie Corinne, nous étions entrées pour nous réchauffer après une nuit d’insomnie dans une sinistre grange ? Nous venions de quitter nos familles respectives pour voyager, et surtout s’inventer un avenir autre que celui prédit par nos origines sociales et un cursus en bac pro-commerce. Rangées dans un rucksak particulièrement douloureux pour le dos quelques affaires. Et, en nous, un insolent désir de vivre. Nous étions un étonnement pour les clients du bar qui sirotaient des alcools forts malgré l’heure matinal. Devant nous un café et la carte de France dépliée. Nous ne savions pas – forcément – que notre journée se finirait à Étretat dans une fête organisée par des jeunes qui deviendraient plus tard des ami.es.
    Me voilà donc, assise à l’endroit où m’a vie a pris une vitale bifurcation. Je me renseigne auprès du patron qui confirme que le bar existait déjà dans les années 70. Il précise que la déco n’a pas changé depuis.
    Est-ce bien le même bar ? Qu’importe. Dieppe aura bien été le début d’une vie choisie.
    Le lendemain, je m’installe quelques jours à Bayeux pour voir la célèbre tapisserie dont je suis curieuse depuis longtemps. Neuf siècles nous séparent. Bayeux m’offre aussi la possibilité de travailler au chaud dans sa formidable médiathèque qui va jusqu’à fournir plaids et coussins pour les amateurs de sieste. Pour la nomade que je suis, les médiathèques offrent un confortable cadre de travail, des toilettes propres et l’accès à de l’eau potable sans que jamais la question de ce que vous faites là ? ne soit posée. En face de la médiathèque dite des 7 lieux, en hommage aux fameuses bottes, un cimetière militaire comme il y en existe de nombreux dans la région. Je marche au milieu des stèles du carré de la Britsh Army et lis à voix haute quelques noms et l’âge du mort, cela va de 19 à 35 ans. Dans le carré allemand, je découvre de nombreuses stèles où le mort a à peine 17 ans. 17 ans, l’âge où je partais en stop pour Dieppe. L’âge où la vie s’annonçait comme une belle aventure. L’âge où eux sont morts, sacrifiés par des idéologues, qui savaient pourtant la victoire perdue d’avance (et combien même).
    Le soleil décline derrière les cyprès, il fait froid à nouveau. Je rejoins mon fourgon et je pense aux Ukrainien.es, je pense aux Russes, je pense aux Syrien.es, je pense aux Afghanes puis j’arrête ma liste.

  • Mon Chéri on the road – 14

    Trois jours pour rejoindre Tinqueux-Reims, en partance d’Angers. J’aurai traversé le Maine et Loire, l’Indre et Loire, le Loire et Cher, un bout de l’Aube puis la Seine et Marne et enfin la Marne. Des vastes étendues à l’horizon net, terres agricoles avec un nombre incalculable de villages, communes souvent sans commerces et encore moins de bar (je ne prends jamais l’autoroute). J’aurai dormi sur un parking à Chenonceau pour visiter tôt le matin le château où l’on peut croiser les fantômes de la reine Catherine de Médicis, Diane de Poitiers et surtout la philosophe, injustement ignorée, Louise Dupin qui écrivit Défendre l’égalité des sexes en 1750, avec Jean-Jacques Rousseau comme secrétaire. Arrière grand-mère par alliance de Georges Sand. Puis j’aurai casse-croûté à Saint Laurent-Nouan, posée à quelques centaines de mètres de la centrale nucléaire, au milieu de petites maisons individuelles, construites sous les lignes à haute-tension d’EDF. Mon étonnement : le prix à payer pour accéder à une maison quand on est modeste en moyens ou une vraie absence de craintes ? Je prends quelques photos. Puis je poserai le fourgon au bord du Cher à Pont-sur-Yonne où je vais boire un café dans un bar où tout le monde est très sympa avec moi. Je m’y sens bien malgré la télé grand écran, l’odeur de tabac, alors que personne ne fume, et le gars au comptoir qui avale café sur café en demandant à celui qui entre (sauf à moi) : Alors t’as gratté aujourd’hui ? Je passe une bonne nuit puis achète, sur le marché, un fromage local aux piments d’Espelette à une jeune maraichère bavarde et curieuse.
    Je conduis en essayant de décontracter mes épaules, sinon je ça va se bloquer à nouveau. Je m’enfonce dans la plaine avec l’envie de m’arrêter toutes les dix minutes pour prendre une photo, visiter un cimetière dont celui, minuscule, perdu entre champs de betteraves et terres retournées à Ouinotte. M’attarder aussi devant une bâtisse, un château, un manoir, puis une cimenterie, un silo géant … curieuse de tout. Je me réfrène. Le paysage défile et je pense à l’équipe de la médiathèque de Segré que j’ai quittée à regret. Fin de résidence. Tant de choses vécues ensemble. Difficile à résumer. Une chouette équipe en tout cas, et, chose rare, une maire et une adjointe à la culture très impliquée et présente à chacune de mes lectures. Cette résidence sera également le souvenir de mon premier embourbement en fourgon qui m’a permis d’évaluer ma capacité à rester sereine. Comme il était tard, je me suis dit : Demain apportera sa solution . Et j’ai dormi là. Le lendemain, la solution se prénommait Francesca, Flop et René, ce dernier outillé en traverses et sangles. Un de ces gars, qui dans les années 70, partaient en Afrique à bord d’une Peugeot break pour la revendre sur place et se rembourser ainsi le voyage (parfois). Alors les embourbements, il connait. Il y aura eu enfin, une femme médecin qui accepta de me prendre en consultation, comprit ma situation de nomade, prit son temps, m’ausculta avec délicatesse, me fournit ordonnances en prévision de, me considérant comme une adulte responsable. Consciente des difficultés pour obtenir un rendez-vous quand on n’est pas chez soi, surtout quand chez soi est un peu partout. Je pense aussi à la discussion avec Yolande Moreau, à L’année de la Caboulotte qui va sortir début mars, à Teddy qui a écrit un texte déchirant en atelier et, et, et … Je pense à tout cela en conduisant et écoutant, en boucle West Universe du tout récent duo Djégo.
    Je pars rejoindre l’équipe du Centre de Créations pour l’Enfance où nous fêterons ensemble la Poésie Jeunesse. Il y aura Mateja, Pierre, Claire, Mathilde, Brigitte, Carl, Albane, Jean, Bernard… Des ami.es, des collègues, des copains. Le programme est à consulter ici
    Je me redis comme souvent : le bonheur c’est quand rien ne vous manque. Et bien aujourd’hui, rien ne manque.

  • Yolande

    Un verre partagé avec elle que j’ai découverte, il y a longtemps, dans un café théâtre de Bruxelles, un poireau à la main, du sang sur les bras : Sale affaire du sexe et du crime. Nous étions jeunes. J’étais épatée. Conquise.
    Puis Lapin chasseur, puis Les Deschiens et le film revu plusieurs fois : Quand la mer monte. Son premier long métrage
    Elle me fait du bien cette femme avec sa taille haute et son style à ne pas jouer dans la catégorie poids-plume. Je peux me reconnaître en elle.
    Ce soir-là, c’est à Segré, au bar du Cargo. Elle vient de donner son spectacle sur Prévert avec Christian Olivier des Têtes Raides. Je peux enfin lui donner le livre que je n’avais pas osé ou su lui envoyer, il y a quelques années. L’échange est simple même si la fatigue est là.
    Elle termine le tournage de son prochain film Même au milieu des ruines. La production n’est pas fan du titre, mais elle y tient. Notre conversation est entrecoupée par des demandes de selfies. Moi, je prends cette photo dont je ne suis pas satisfaite, mais voilà.
    Toujours un moment étrange d’être en conversation avec une personne qui vous est familière et de sentir que, forcément, pour elle vous êtes une inconnue.

  • Mon Chéri on the road – 13

    Fêtes de fin d’année à Lyon en famille et avec les ami.es. Se retrouver, se raconter et aller au cinéma car j’apprécie de voir un film sur un écran qui m’oblige à lever le nez. Quelques pépites. Le premier jour de l’année, je me suis levée très tôt pour me rendre au parc de la Tête d’or qui ce jour-là, à cette heure matinale, est peu fréquenté. Quelques runners s’activent – à quel moment n’ont-ils plus été des joggers ? Avant même d’être abstinente, je me suis toujours refusée de démarrer l’année par une gueule de bois pour tenir à distance les mauvais présages, à chacun ses petites croyances. Depuis plus de 20 ans, le 1er janvier je me lève tôt et pars saluer un bout de nature. Au parc de la Tête d’or, tant d’arbres superbes, étonnants et ce matin-là, une oie est venue me saluer dignement. Je présume qu’elle attendait quelques bouts de pain, mais je préfère y voir un geste de générosité de sa part. Furieusement optimiste, je le répète. Tout en marchant, je liste les nouveautés et les changements souhaités pour l’année à venir. Une liste raisonnable pour qu’elle soit réalisable.
    Puis retour à Segré-en-Anjou bleu, après quatre heures de train, une heure de bus et un quart d’heure à pied, ma valise à roulettes aux basques, je retrouve Mon Chéri sur le parking de la médiathèque qui accueille ma résidence. L’émotion qui me saisit ne m’étonne pas vraiment. Il est là. Il est intact et il m’attend. Alors je le salue et pose ma main contre sa carrosserie comme une caresse que je n’oserais pas donner. Quelques photos. Joie supplémentaire, il démarre au quart de tour. Je tapote le volant et le remercie de m’être fidèle. Musique à fond, je ne connais pas de meilleur endroit pour écouter de la musique que l’intérieur d’une voiture. Come take me de Betty Davis qui me met facilement en transe. De son bref mariage avec Miles Davis, elle garda le nom, pas la notoriété. Conduisant mon fourgon, je suis consciente de me servir d’un dinosaure de nos futurs moyens de locomotion : moteur thermique au diesel. Je déculpabilise en réalisant que j’ai respecté le deal, sauf fin août, d’un plein par mois maximum. Et globalement, je consomme moins qu’à l’époque de ma vie dans un village savoyard où je me déplaçais en voiture tous les jours. Par le pare-brise, je retrouve le paysage segréen avec ses étangs, ses bocages, ses arbres têtards et les nombreux et quelque peu déprimants distributeurs de baguettes. Je roule et me reconnecte avec mes prochains ateliers d’écriture, il y aura une classe Bac pro électro, une classe en IME, un groupe de primo-arrivants et le groupe d’adultes du samedi. Je pense aux nombreux camarades écrivains, écrivaines qui vont ainsi de lieux en lieux, animer un temps pour renouer avec l’écriture, la littérature. Gagne-pain oui mais aussi un engagement politique et social. La plupart d’ailleurs sont issus de milieu populaires. Ils et elles savent ce qu’ils doivent aux livres lus. Et quand j’ai des échos de leurs ateliers, je constate que l’exigence est là. Pas d’ateliers occupationnels mais de l’engagement.
    Panneau du musée de la Mine bleue et me voilà rendue. L’ardoise fut longtemps exploitée dans la région et on trouve nombre de friches et dans les villages les si reconnaissables alignements de maisons ouvrières. Misengrain – Je klaxonne mon arrivée même si personne ne m’attend. Vivre seule nous rend sensible à d’autres présences.

  • Mon Chéri on the road – 12

    Pare-brise gelé. Bel effet matinal vu de l’intérieur du fourgon. Heureusement, j’ai avec moi un grattoir d’une grande efficacité. Il m’a été offert à la clôture d’une résidence d’écriture dans le Jura, vers St Claude. Nous étions en janvier et il fallait gratter et parfois aussi pelleter la neige. Les températures en-dessous de zéro sont courantes dans les montagnes jurassiennes. On s’habitue. Tout est une histoire d’équipement adapté. Donc un bon grattoir car même en Anjou, il peut faire froid.
    Si en semaine je dors au chaud dans l’appartement mis à disposition par la ville, le week-end je pars dans les environs me balader en fourgon et j’y dors. Je m’adapte. Je m’équipe. Laine aux pieds, aux mains et sur la tête pour une bonne répartition de la chaleur. Dormir dans le fourgon, j’en ai besoin même si le réveil peut parfois être brutal, quand une voix à l’extérieur gueule régulièrement avec une virile énergie : Ta gueule ! Mais ta gueule !
    J’ai mis un moment à comprendre qu’un chasseur dialoguait avec son chien. Comme il faisait bien froid, je suis restée sous la couette à poursuivre la lecture de Voyage avec Charley écrit en 1960 par John Steinbeck. Récit d’un périple en camping-car à travers les États-Unis en compagnie d’un caniche royal de belle stature. Livre intéressant même si Steinbeck ressent, étonnamment, le besoin de dormir souvent à l’hôtel ou se lance dans l’éloge d’ustensiles jetables en aluminium : couverts, assiettes et aussi poêles à frire. Le tout à usage unique. Autre époque.
    Parfois, j’ai envisagé la présence d’un chien même si ceux qui aboient derrière les portails, murets, palissades, portes me vrillent les ovaires à vous gâcher l’usage des chemins vicinaux. J’aime les chiens pas ce que les humains en font.
    Je rêvais d’un dogue argentin parce le molosse dissimule un caractère affectueux, tolérant et surtout peu aboyeur. Sauf qu’un chien vous impose son rythme de vie et l’enfermer dans le fourgon pour aller au musée ou à la piscine ce n’est pas très sympa pour lui. Alors pas de chien.
    Une poule pourrait me tenter comme le navigateur Guéric parti sur les océans avec sa poule Monique ou la poule Chépa embarquée par Félix dans un étrange vélo-canoé . Le documentaire assez truculent de cette expérience est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=4_nDsGYrxdc.
    Bref on a parfois besoin de compagnie et une poule, ben ça vous pond des œufs – frais !

  • Laurent

    Segré-en-Anjou bleu, centre-ville, un pas de porte avec le mot taxidermiste en façade. Pas de vitrine. Juste des mots. Je m’interroge aussitôt : qui ? Quoi ? Comment ? J’ai toujours été fascinée, dans les musées d’Histoire naturelle, par la section dédiée aux animaux naturalisés. L’étrangeté du vivant figé dans la mort. Alors j’ose. Coup de fil. Rendez-vous et j’entre dans l’antre du taxidermiste.
    Laurent Joyaux est un passionné. D’abord sapeur-pompier de la ville de Paris, il profite de son temps libre pour se former à un métier qui l’attire depuis longtemps. Gamin il aimait les balades en forêt ou dans les marais pour traquer l’animal. Chasser aussi, il ne s’en cache pas. Surtout à l’arc. Il ne prélève pas d’animaux pour les naturaliser, ce sont ses clients qui lui apportent des peaux. A 35 ans, il a quitté les sapeurs pour se lancer dans le métier qui le passionne toujours autant.
    Il aime travailler tard dans la nuit : Quand je commence une bête, j’aime bien rester longtemps en contact avec elle pour lui donner forme
    Trophées de chasse, animaux de compagnie, objets de décoration ou de musées, le boulot ne manque pas. Par contre il va arrêter les animaux de compagnie, ses client.es sont souvent déçu.es, leur animal, en fait, est bel et bien mort.

  • Mon Chéri on the road – 11

    J’écris cette chronique installée sous la couette, à l’abri dans mon fourgon. Dehors la nuit. A peine 19h. Chaussettes en laine d’alpaga aux pieds. Je suis posée à Blaison-Gohier au sud-est d’Angers en prévision d’une balade dans le environs – 5h de marche – pour demain. Traversée de coteaux, forêts, hameaux et je devrais éviter la pluie.
    Avant que la nuit ne me contraigne au repli, j’ai visité le village qui compte de bien belles demeures, manoirs et un château. La contrée fut prospère et le cimetière confirme : une section, séparée du tout-venant par des murets, accueille les dépouilles de la famille de Chemellier composée de comtes, vicomtes et autres baronnes. J’ai vérifié ce nom de famille n’apparait pas dans la liste des sacrifiés de la guerre de 14-18.
    Personne dans les rues, chacun rentré chez soi et je n’allais pas tarder non plus. Quelques feuilles flamboyantes s’accrochaient encore aux branches, des lumières filtraient derrière les volets ou les rideaux, le son d’une télé. Vies intérieures qui contrastent avec ma présence dans les rues et ruelles vides. Je suis traversée par un mélange de mélancolie et de détachement. Un ressenti proche de celui de l’enfance quand je me rendais l’hiver au cours d’équitation proposé par la MJC. La nuit, le froid, l’odeur des bêtes m’enveloppaient. Je découvrais un sentiment nouveau où le présent n’avait plus un goût d’éternité. Aucune angoisse, au contraire. La conscience de ma finitude générait en moi, un grand calme et de la confiance. La lecture du Grand Meaulnes, à la même époque, m’offrait aussi ce sentiment d’un espace temps autre.
    Le froid a pris de l’élan, j’ai fermé ma parka. Il était temps d’aller tirer les rideaux du fourgon, allumer la liseuse et me préparer une soupe.
    Dans le fourgon, je suis chez moi, même si actuellement ma résidence d’écriture à Segré-en-Anjou bleu, m’amène à être logée en appartement. Le camping étant fermé, il n’y avait pas de lieu pour recevoir dignement mon fourgon. Misengrain est le nom du relais qui m’accueille. Les logements ont été aménagés dans d’anciennes maisons de mineurs. On exploitait l’ardoise et le fer dans la région. Le relais est géré par un groupe éducatif et des salarié.es handicapé.es, ils et elle forment un sympathique environnement. Au début, dormir dans une grande chambre me perturbait et dans la nuit, j’ai failli rejoindre Mon Chéri plus d’une fois (Il est garé quasi devant ma porte). Perturbée aussi de limiter mes virées aux week-ends. Je dois admettre, il est l’heure d’hiverner et j’ai pris conscience de cela pendant la traversée solitaire du village. La résidence dure jusqu’en février. Je vais partir à la rencontre de enfants, des habitants et Mon Chéri m’attendra à la porte du garage chaque samedi quand j’aurai fini mon travail. Je ne sais pas comment je vais gérer la suite de ces chroniques. On verra. J’ai le temps. Jusqu’au printemps ce sera, peut-être Mon Chéri en résidence !