• Mon Chéri on the road -23

    L’envers du travail – Tapisserie à partir d’un dessin de JR Tolkien – Je suis à Aubusson, visite du Musée International de la tapisserie. J’ai décidé de rester quelques temps au même endroit, camping au bord de la Creuse : de l’ombre, de la tranquillité, la ville accessible à pied. Il est interdit de nager dans la rivière pour cause de barrage alors je dois me contenter de la piscine municipale. Après de nombreux déplacements, cela me fait du bien de retrouver le même paysage au réveil, de pouvoir prendre une douche chaude, de ne pas me soucier de l’état de mes réserves d’eau et du lieu où dormir – Un an déjà que ma vie tient dans un fourgon.
    Après avoir quitté la chaleur du Var, j’ai donné une lecture au Sytrah (cave de Saint Symphorien d’Ozon) accompagnée par le duo Djégo. Ambiance sympathique, fluide et dansante. Dans le public mes quatre filles, mes quatre gendres et leurs enfants – Mon émotion à me tenir-là devant ma famille et le petit garçon qui vient me dire que c’était bien ma lecture.
    Puis j’ai dormi dans les hauteurs de Lyon alors que les émeutes étaient encore d’actualité. Quelques amis s’inquiétèrent pour ma sécurité et proposèrent gentiment de m’héberger. Moi, je suis surtout inquiète pour notre pays vieillissant qui ne sait pas prendre soin de sa jeunesse, du moins de celle issue de la migration et des banlieues pauvres. Celle issue de cette perpétuelle histoire des pays riches importateurs de main-d’œuvre étrangère pour que tourne les usines et leur business.
    Dans cette nuit intranquille, je me suis souvenue d’une autre nuit d’émeute dans les années 90, où un groupe d’écrivain.es fuyait le quartier de la Duchère avec précipitation – nous devions écrire ensemble dans les hauteurs d’un immeuble voué à la destruction. Panique, jusqu’à m’oublier dans la débâcle alors que j’exprimais de la déception à ne pas rester pour écrire l’ici et maintenant. Délaissée, dépitée, je suis rentrée à pied dans la nuit enflammée, constatant que les habitants de ces quartiers subiraient, en premier lieu, les conséquences des destructions.
    2023 – La nuit sera calme malgré l’intranquillité de mes pensées. Je vais raviver mes muscles au Parc de la Tête d’Or puis je quitte la ville pour les paysages du Forez, m’arrêtant chez différents ami.es avec qui j’ai bien mangé, longuement parlé, réparé le monde puis ensemble nous avons poncé des portes ou encore rangé du bois avant que je ne reprenne le volant. Je roule et constate qu’une lourde fatigue me leste le corps. Je dois m’arrêter plusieurs fois pour dormir. Mon mode de vie n’est pas toujours de tout repos surtout sur le plan émotionnel. Je décide de me poser plus longuement que d’habitude pour profiter des bienfaits de la routine. Ce sera Aubusson même si la ville est mal-menée par les nombreuses voitures qui la traversent. Je m’installe et je peux aménager, pour une fois, l’extérieur du fourgon : installer un auvent, déplier des sièges, étaler une couverture. Je consulte les horaires du musée, du cinéma (trop de films en VF) et ceux de la médiathèque.
    Déambulant dans la ville, sans but précis, au hasard des ruelles et des raccourcis, j’ai rencontré Mady, une dame de quatre-vingts ans qui m’a invitée chez elle, une maison pleine d’objets et de souvenirs, pour me montrer ses broderies au point de Sarrasin et me raconter un peu de sa vie avant de m’offrir un pot de confiture à la groseille. Elle sera au centre de mon prochain Portrait – évidemment.
    De retour au fourgon, profitant d’une éclaircie, j’ai mangé au bord de l’eau un pomelos à la pulpe juteuse et rafraichissante puis j’ai débuté la lecture de Travaux de l’écrivain-ouvrier Georges Navel dont je me sens si proche. Je souligne nombre de phrases dans son récit dont celle-ci qui me va bien aujourd’hui : J’ai cru découvrir, mais très tard, un principe de bonheur dans la pensée, la méditation, la songerie, la réflexion, qu’on appelle comme on voudra ce travail d’esprit, de création, de miroitement de la vie que fait n’importe qui, en allant seul, en marchant tranquille. ( … ) La vie ne vaut d’être vécue que dans la mesure où on s’en émerveille.
    Et quand la nuit s’invite, malgré la fatigue, malgré la désespérance d’un monde qui m’échappe, je chante à tue-tête la chanson du Chiffon rouge : « parce que si tu veux que cela change et bouge, lève-toi car il est temps »







  • Régis

    Je le pensais taiseux, mais non il aime se raconter. Il se dit nomade, voyageur même s’il est installé depuis quelques années dans le Var. Il a quitté, jeune, l’Alsace natale pour partir sur la route, à pied et en stop. L’Italie, l’Espagne et le travail saisonnier pour subvenir à ses besoins. Ici dans le Sud il s’occupe de l’entretien de l’un de ces lieux que je nomme l’arrière-cour de nos vies. On y entasse des vieux véhicules dont des corbillards en bois, des roulottes, des caravanes, des objets en fer, en plâtre, en plastique et surtout des pneus et des pneus qui seront revendus à des particuliers.
    On y met aussi à l’abri des animaux dont un chameau recueilli blessé aux genoux – il ne parvenait même plus à se redresser. Ici, il a été soigné et chouchouté. Régis est ravi de nous montrer l’animal droit sur ses pattes et se roulant voluptueusement dans la terre sèche du terrain. Chacha est content de le voir.
    Il fait chaud sur ce lieu de récupération et respirer l’odeur âpre du caoutchouc n’a rien d’agréable. Régis attend l’automne avec impatience car chaque année il accompagne la transhumance des moutons dans le Haut-Var. Trois semaines à marcher au rythme des bêtes, à partager en soirée le repas des bergers et, depuis peu, des bergères. Vivre dehors.
    Pour l’heure, c’est l’été, les touristes vont arriver, il faut stocker, compter, trier les pneus, heureusement, certains soirs il y a fête au village. Régis se douche, se change et va danser. Il aime ça danser, surtout le rock et il se débrouille plutôt bien.

  • Mon Chéri on the road – 22

    Il est frustrant de ne pas pouvoir tout raconter dans cette chronique pourtant elles sont nombreuses les rencontres, les invitations et les personnes qui m’offrent gite, possibilité d’une lecture ou tout simplement un bout de conversation. Comme je me déplace en fonction de mes obligations professionnelles, ce n’est pas vraiment la vanlife, j’entends par là, ce que je vois parfois sur les réseaux sociaux : la vie en fourgon c’est trop cool !
    Souvent dans mon fourgon, ça bosse et il n’y a pas toujours un coucher de soleil à photographier par mes portes entrouvertes.
    Donc, déplacements et rencontres il y aura eu à Saint Molf, Quimperlé, Mellac, Guipavas pour me poser ensuite au trou de Bozouls dans l’Aveyron, merveille de site que j’ai pu arpenter un jour de semaine en imaginant l’horreur de cette même balade en période estivale – quand il y a foule. Depuis quelques années, il y a surcharge dans certains lieux touristiques mis en avant par les réseaux sociaux. Mon conseil : arrêtez de partager vos bons plans avec la terre entière.
    J’étais bien à Bozouls, fourgon garé sur la place de l’église avec accès à de l’eau et des toilettes, mais il y a eu ce type, repéré dès mon arrivée, qui avait une façon bizarre de m’observer. Toujours à proximité du fourgon. Le lendemain alors qu’il me tournait autour, je lui ai fait signe pour y voir clair, il a fui aussitôt. Première fois en presque une année que je dois faire face à un type louche, alors j’ai quitté Bozouls, un peu furieuse mais comment agir autrement ? Heureusement, j’ai trouvé un splendide lieu pour me laver de ma mauvaise humeur à Puech des Ouilhes dans le lac du barrage de Saint Étienne de Cantalès. Long moment de nage dans une eau douce, une lumière d’après-orage et quasi personne sur la rive. J’ai vite oublié le type louche. L’eau me ressuscite à tous les coups.
    Puis j’ai pris mon temps pour rejoindre Roquebrune-sur-Argens dans le Var où je suis posée depuis une semaine, dans le jardin de ma nièce et de son compagnon. A Roquebrune où je viens depuis plusieurs années, je suis tantine, mon surnom d’ici – et j’aime bien ce surnom géolocalisé. J’ai aussi comme réputation d’apporter la pluie : Quand tantine vient dans le sud, il pleut. Et ce n’est pas faux.
    Ici, je retrouve un monde d’hommes et de femmes employé.es par les hôtels, les restaurants de plage, les agriculteurs, les éleveurs… tout un monde qui vit peu ou prou du tourisme pour le fuir dès que le boulot est terminé. Des gens qui vivent ici depuis toujours ou alors se sont, un jour, arrêtés, c’est ainsi qu’on me les présente : Lui, il s’est arrêté en 96, elle s’est arrêtée en 2012 … Parcours de vie.
    Certaines de ces personnes parlent le provençal et souvent il est précisé qui est d’en bas, qui est d’en haut (sous-entendu du bord de mer ou des collines) – Beaucoup travaillent dur, les mains sont calleuses, les visages burinés et on parle avec gravité des difficultés liées au changement climatique, à l’introduction du loup, des vieux et vieilles dont il faut bien s’occuper, des Tunisiens et des Portugais qui viennent planter le melon, ébourgeonner la vigne.
    La région est belle quand on s’éloigne des méga-campings, des zones artisanales et des marinas, mais elle est rude aussi. Sécheresse, chaleur, insectes et quand l’ orage tonne, on espère l’eau mais pas trop, le village a vécu plusieurs crues, des débords comme on dit ici. Il y a eu des morts et d’importants dégâts. Dans la maison où vit ma nièce, tout ce qui craint l’eau, est rangé en hauteur et on n’investit plus dans les meubles ou l’électroménager, à quoi bon ? Sans oublier les feux de forêts qui endeuillent le paysage pendant de longs mois.
    Ici parler de débrouille c’est du concret. Entre les jobs d’hiver et ceux de l’été, les boulots plus ou moins déclarés, la paie n’est pas bien lourde alors on vit dans les maisons de village qui ne font pas d’assez belles résidences secondaires, dans des mobiles homes planqués sous les arbres, dans des cabanes parfois dans sa voiture.
    J’aime bien ce temps passé à être tantine. Mon Chéri est à l’ombre du saule pleureur et ma nièce a bricolé une moustiquaire pour la porte latérale, mais quoi qu’il en soit, vers dix-huit heures, malgré l’huile essentielle de lavande, la citronnelle et le marc de café, on se gratte nerveusement les mollets et les avant-bras. On peste contre les moustiques et les aoutats. Et quand le ciel se couvre, l’un ou l’autre commente : Tiens il va pleuvoir – ben oui, tantine est dans le Sud

  • Mon chéri on the road – 21

    La veille d’un grand week-end, le long du canal à Redon, j’ai posé le fourgon pour profiter de la riche programmation du Ciné Manivel : un film, une tartine au bar, un tour aux toilettes puis un autre film – mon humble festival de Cannes !
    Dans la nuit, je rejoins le fourgon garé parmi quelques autres campings-cars, ça me va, j’ai le sens du partage. Mais au matin je constate que la situation a changé, je suis cernée. Des dizaines de mastodontes sont arrivés et se sont parqués collés-serrés. Mon fourgon semble bien frêle au milieu de cette masse. Quel est le plaisir de se déplacer dans un véhicule qui ressemble à un gros congélateur et dont le prix oscille entre 100 000 et 200 000 euros, sachant que le plus souvent ils doivent se poser sur des parkings bitumés sans ombre, ni vue. Quelque chose m’échappe et d’ailleurs, dès ce soir, je vais m’échapper d’ici.
    En attendant de prendre le large, je croise un chien affable que je reconnais : Ama, suivie de Lola, une nomade d’une trentaine d’années, rencontrée il y a quelques mois à l’île aux pies. Depuis elle a changé de fourgon, terminé son stage de construction en terre crue et débuté un chantier. Elle me conseille d’aller divaguer dans les friches de l’usine Garnier (Une ancienne manufacture de machines agricoles qui a fermé ses portes en 1980) – 20 000 mètres carrés pour divaguer, oui, au milieu des arbres, des prairies, les traces d’un ancien festival de street art, de la charpente métallique, des entrepôts abandonnés, un charmant potager associatif, les ateliers de la formation en terre crue… Je divague, le verbe me va. Dire le vague des jours, la vague du temps. Je m’assoie. J’écris. J’oublie les congélateurs.
    Tôt le lendemain, je pars pour Rochefort-en-terre, un de ces magnifiques villages français devenue infernaux à cause de l’affluence touristique. On peut y acheter des bonbons chimiques par kilos, des figurines en plastique made in quelque part loin d’ici, mais impossible de trouver du pain frais. Pour profiter des superbes maisons, il faut traverser le village avant dix heures.
    Je suis venue pour participer à la fête organisée par le comité de soutien de Vincenzo Vecchi. Il y a 20 ans, il était condamné pour « dévastation et pillage » suite à sa participation aux manifestations contre le G8 organisé à Gênes. Un chef d’accusation rédigé dans les années trente sous le régime fasciste.  Réfugié en France, il sera incarcéré en 2019, puis libéré et en attente du verdict. Une importante partie du village s’est mobilisée pour soutenir leur voisin, leur copain, leur ami. Pour mieux comprendre, vous pouvez écouter un podcast : ici.
    Depuis mars, le cauchemar est fini, Vincenzo devenu Vincent, est libéré de toutes poursuites. Il peut reprendre sereinement son métier de charpentier et l’éducation de sa fille. Au café de la pente, près de deux cent cinquante personnes venues d’ici et d’ailleurs, se retrouvent dont l’écrivain Eric Vuillard : ça parle, ça s’enlace, ça boit des coups, ça se remémore et pour les plus militants, le constat qu’il n’y aura plus la réunion du mardi. Quarante mois que ce rendez-vous était pris. Je ne connais personne et la soirée se finira tôt pour moi, mais c’était bien d’être là.
    Jean-Luc et sa compagne me trouvent un endroit où poser mon fourgon, m’offre une salade du jardin et la possibilité de remplir mes réserves d’eau. Dans une boite à livres, je dégote un ouvrage digne d’intérêt, c’est rare : Le récit d’un voyage entrepris par le très jeune Patrick Leigh Fremor – De 1933 à 1935 il rallie à pied Londres à Constantinople. C’est rudement bien écrit et il est un bon observateur. Je découvre qu’à l’époque, aux Pays Bas, le nomade pouvait demander asile dans les commissariats et passer sa nuit dans une quelconque cellule. Les temps ont changé.
    Et déjà, il est temps pour moi de rejoindre Saint Molf où une rencontre-lecture est programmée. En cours de route je me baigne sur une des plages de Pénestin, l’eau est délicieusement fraîche même si de magnifiques méduses gâchent un peu mon plaisir. Chaque jour, je le constate, on ne vit pas seul dans ce monde.

  • Mon chéri on the road – 20

    Moment de bonheur quand je me pose dans un endroit qui associe vue généreuse sur le paysage, solitude et sentiment, important pour moi, de ne gêner personne. Même si regarder un coucher de soleil de son lit est un pur bonheur, je n’impose pas la présence du fourgon aux promeneurs et promeneuses du chemin. Je veille à ne pas gâcher le paysage. Depuis ma dernière chronique beaucoup de lieux, de rencontres, de lectures, d’événements. Heureusement je note tout dans un carnet. Il y aura eu les quelques jours passés chez des ami.es vers Brioude ponctués par des balades, des repas bavards et le coup de main donné pour rentrer du bois. Il y aura eu Stéphanie de l’improbable boucherie à Queuille. Il y aura eu une belle bosse à l’arrière du fourgon due à je ne sais qui parti sans laisser de message – évidemment.
    Et il y a le retour à Saint-Marc pour le Mai des arts : le temps d’un week-end, sept jardins qui s’ouvrent au public et proposent œuvres d’arts, activités manuelles, produits locaux puis, le soir, tout le monde se retrouve à la Villa Plaisance pour partager nourriture, boissons, lectures, musique et vue sur l’estuaire de la Loire qui quelques mètres en aval devient océan. La pluie est tombée avant et après l’événement – Ouf. Une infection O.R.L accompagnée d’une toux fatigante et ingérable, m’a pompée beaucoup d’énergie. Le fourgon sent les huiles essentielles et j’ai lutté ferme contre l’invasion avec la trouille de ne pas réussir à donner ma lecture du samedi – Re-ouf ! Avec la complicité du musicien Yann Féry, j’ai pu traverser Mère éléphante sans toux et sans larmes ( c’est un texte où je dois maîtriser mes émotions personnelles pour tenir le cap de la lecture). La réaction du public aura mis du baume sur mes cordes vocales. Résumer ces deux jours n’a rien d’évident, ce fut en tout cas formidable de partager l’engagement de nombreux de bénévoles, d’offrir un moment de plaisir aux passantes et passantes du littoral. Du beau boulot ! Maud Leroy des éditions Des Lisières était là et ses livres aussi. Elle sera ensuite l’hôte de mon fourgon le temps de quelques rencontres vers Orvault. Vivre de peu. Vivre intensément. Et il m’arrive de dire merci à je ne sais qui, à je ne sais quoi pour mon bonheur d’être au monde. Jouir de la vie car d’autres, pas si loin de nous, subissent la guerre au quotidien. La violence de là-bas qui contraste avec la légèreté du soleil matinal hôte de mon fourgon. A la radio, un paysan ukrainien raconte qu’il devrait, à cette époque de l’année, préparer la terre pour recevoir des semences, mais cela ne sera pas possible. Ses champs sont infestés de mines. Pourquoi ce récit m’a-t-il particulièrement émue, je ne saurais dire. Peut-être le tangible de la situation. Ensemencer est un moment tendu vers l’avenir, on y puise du courage pour se mettre au labeur, et voilà que, pour cet homme, l’avenir est un terrain miné ! A Saint – Marc on ouvre les jardins, en Ukraine on condamne l’accès aux champs.

  • Stéphanie

    A Queuille, petite commune du Puy-de-Dôme il y a superbe panorama sur le méandre de la Sioule et … Stéphanie qui tient l’improbable boucherie, charcuterie, épicerie Garachon. Dès l’extérieur les enseignes intriguent par leurs couleurs et leur amoncellement, dedans on peut visiter un petit musée avec des outils, des photos, des cartes postales.
    Disons-le, c’est un peu foutraque et Stéphanie qui vous accueille ne s’en défend pas : Je suis du genre décalée. Et à moi qui n’est ni chèque, ni liquide pour payer – je comptais sur ma carte bleue mais la maison n’est pas équipée – elle propose de lui envoyer un chèque par la poste. Cette confiance me touche.
    Alors je repars avec des yaourts, des pommes, du jambon et des merguez (elle me fait un prix, parce que c’est comme ça). Elle sourit souvent, se moque d’elle-même : J’agace certains clients à pas faire les choses comme il faut. Pas moi, il se dégage d’elle du généreux, du singulier et les produits sont de qualité. Je n’ose pas lui poser trop de questions, elle semble avoir pas mal de boulot. Mais quand elle me demande si je suis sur facebook en ajoutant : J’aime bien voyager à travers la vie des autres. Je me doute que ce n’est peut-être pas de la boucherie familiale dont elle rêvait plus jeune. Je la quitte avec regret, en me promettant d’y retourner pour elle et pour la région qui est vraiment belle.
    Alors que j’ouvre la porte, elle rajoute : et si pendant votre balade vous trouvez des heures perdues, vous pouvez me les ramener, j’en manque sérieusement. .

  • Mon Chéri on the road – 19

    Écrire chaque jour dans mon carnet de bord est indispensable si je ne veux pas m’embrouiller dans les lieux, les dates, les impressions. Le relisant, je prends conscience de tout ce qui a été si vitement oublié.
    Direction Lyon où j’ai passé quelques jours chez mes filles, puis à la Croix-Rousse, le fourgon posé le long du parc Chazière. Singulière expérience que de dormir en mode nomade dans une ville où l’on a toujours eu un habitat fixe même quand c’était sur le Rhône avec la péniche. Squatteuse de l’espace public. J’ai vécu la ville presque en catimini. Puis j’ai embarqué le petit garçon pour trois jours. Il apprécie cette maison de poupée roulante et comme il sait traîner dans les livres, la cohabitation a été facile même si la fraicheur nous contraignait au repli dans le fourgon dès 18h. On a beaucoup parlé oiseaux après une longue exploration du parc de Villard-les-Dombes.
    Halte chez Laurent Peyronnet, ami des réseaux sociaux. Se voir enfin, en vrai, le temps d’un repas, d’une discussion où il aura été question de littérature (il écrit pour la jeunesse) puis il m’ a aidé à penser un voyage en Norvège (il est guide ) – oui mais quand ? Beaucoup de travail pour la période 2023/24. Au printemps 2025, ce serait pas mal. L’inscrire sur l’agenda ?
    Il y aura eu aussi la remise du Prix des lycéens Ile-de-France et la joie de recevoir cette reconnaissance de la part de jeunes lecteurs et lectrices. Fière. Émue. J’emporte ce moment pour m’en souvenir les jours où l’écriture n’avance pas, où les ventes ne sont pas réjouissantes et quand les médias ignorent mon travail malgré…
    Aujourd’hui, j’écris installée à l’avant du fourgon entre Massifs de Belledonne et de la Chartreuse (oui c’est beau) juste à côté du péage de Pontcharra (oui c’est moins bucolique). J’ai retrouvé Xavier mon fourgoniste attitré pour qu’il répare le système d’ouverture de la porte latérale abimé après un tournant pris trop serré. La pièce nécessaire à la réparation se fait attendre, alors j’attends. J’écris, j’administre, je m’occupe. La piscine est accessible à pied, le cinéma aussi. J’essaie de ne pas trop déranger l’équipe au travail, dont deux jeunes femmes qui manient disqueuses, perceuses, scie circulaire avec une dextérité qui semble encore surprendre certains hommes – pas ici en tout cas. Ce midi j’ai préparé le repas qu’on a pris au soleil. On a parlé fourgons, voyages, aménagements et poivrons confits. J’observe la vie quotidienne de cette zone dédiée au travail artisanale avec un, fort appréciable, magasin de produits locaux. Tôt le matin j’ai été saluer le camarade écrivain Antoine Choplin qui habite, pas très loin, dans les hauteurs. Nous avons parlé du monde qui va et ne va pas. Trois années sans nous voir, nous a rendu bavards. Puis retour à l’atelier où la pièce est enfin arrivée, mais sa mise en place s’annonce galère. J’observe Xavier qui cherche à comprendre : ça doit marcher. Oui mais comment ? J’ai toujours été fascinée par l’intelligence des manuels. Leur obstination à vouloir percer le mystère d’une pièce, d’une mécanique. Leur patience même si, parfois, un gros mot vient ponctuer un ratage. Le regarder me permet aussi de mieux comprendre comment fonctionne Mon Chéri et où se logent les trappes, les câbles, les fusibles… Les dessous de l’affaire !
    Il y a trois jours, j’étais à Notre – Dame du Mont au-dessus de La Côte Saint André avec une vue imprenable sur la vallée de la Bièvre. Les oiseaux, la montagne et le calme. J’aime naviguer entre cartes postales et zones artisanales. Dans quelques jours direction la Haute – Loire. Je me sens chanceuse de pouvoir apprécier chaque instant de vie sans courir vers le jour d’après, même les jours de galère. Je suis là où ma maison est posée.

  • Guillemette

    A son arrivée à l’atelier d’écriture, j’ai pensé en tout premier lieu : quelle énergie ! Le pas vif, le sourire grand et un tabouret calé sous le bras. Une table adaptée à sa petite taille a suivi, portée par un participant. Forcément, il faut avoir le sens de la débrouille quand on habite dans un monde de géants. Elle a appris aussi à devancer les étonnements, les questions voire la gêne liée à son mètre seize.
    Après avoir travaillé avec des jeunes enfants dont on imagine le plaisir d’avoir enfin un adulte à leur hauteur, elle s’est fait conteuse avec un compère qui frôle le mètre quatre vingt-dix. Sa diction parfaite est un atout et révèle aussi les origines. Elle a grandi dans une famille catholique de huit enfants où l’on se vouvoie entre frères et sœurs. Le père était amiral.
    Chez elle, dans la campagne du Haut Anjou, nous avons partagé café et anecdotes, conscientes de nos différences d’origines et d’appartenances politiques. La lecture à voix haute comme territoire commun.
    Dans sa maison tout a été pensé et construit à sa taille pour autant une chambre et une salle de bain ont été prévues pour ses grands ami.es.
    Dans un livre La Douce ardente, à travers le personnage de Lucie, elle évoque ce qui parfois ne peut se dire de manière trop directe. D’ailleurs elle ne s’attarde jamais longtemps du côté de l’intime car Guillemette de Pimodan est, avant tout, une femme qui agit.

  • Mon chéri on the road – 18

    Nevers. Garée au bord de la Loire avec la ville qui se laisse joliment voir de la rive. Le jour s’efface du ciel et le paysage s’obscurcit, je ne me sens pas vraiment bien dans cet endroit (sans pouvoir me l’expliquer) la fatigue sans doute. Fatigue qui me rend trop paresseuse pour chercher un ailleurs. Je ferme la porte, tire les rideaux, me contente d’une eau chaude avant de me réfugier dans mon lit quand une clameur grave et répétitive s’impose. Cela pourrait être un match de foot, sauf que je crois entendre : Sieg heil Sieg heil ! Le salut hitlérien. Je sais me tromper, mais c’est effrayant tout de même. Je m’éloigne du mirage en écoutant un podcast. C’est Léon Blum que j’invite sous la couette. L’émission réalisée par Philippe Collin est passionnante. Constat honteux, je ne savais pas grand chose de l’homme. Grand bourgeois, dandy mais défenseur d’un monde égalitaire. Un socialiste comme on aimerait qu’il en restat encore un de nos jours. Il aura été l’auteur d’ un essai en 1905, Du mariage, où il défend la liberté sexuelle des femmes. Ce qui lui valut bien des haines alors qu’il devait déjà faire face à un violent antisémitisme.
    Je dors plutôt bien et les supporters (peut-être aussi des supportrices) ont quitté les lieux. Humeur pénible au matin, je suis paralysée par l’indécision : Partir de suite ? Rester écrire ? Filer direct vers Lyon ? Visiter la ville ? J’opte sans conviction pour la dernière option. Bien qu’il soit presque dix heures, les gens sont absents des rues. Le bâti est superbe, mais le musée de la faïence et des beaux-arts n’ouvrent qu’à 14h, idem pour la médiathèque où j’aurais pu me poser pour écrire. Reste le sanctuaire de Sainte-Bernadette mais je manque vraiment de ferveur mystique ce matin. La rue piétonne, à l’instar de nombreuses villes moyennes, offre la triste vision d’un magasin sur trois définitivement clos. J’envoie un texto à Valérie Rouzeau dans l’espoir d’un café partagé et constaterai tardivement qu’il a été bloqué. La ville me résiste.
    Dépitée, je m’installe dans un PMU pour y paraphrasait sur mon journal de bord Marguerite Duras qui écrivait en parlant de vin : Le côte du Rhône, ce n’est jamais décevant en osant un Le PMU ce n’est jamais décevant. Effectivement le café est bon et le théâtre de la vie se déroule devant moi sans que j’aie d’efforts à donner. D’abord le couple d’asiatiques qui tient les lieux, très gentils, mais dont je ne comprends rien à ce qu’ils me disent et apparemment les autres clients non plus. Les deux gars du comptoir qui parlent l’arabe et boivent coup sur coup trois cafés chacun alors que je sirote encore le mien, vers l’entrée, un homme sans âge, mal fagoté, nerveux, remplit régulièrement des grilles de jeux qui ne semblent ne lui apporter que déception. Et s’il gagnait gros, que ferait-il de cet argent ? Saurait-il changer de vie ?
    Je prend une photo, fascinée par le sempiternel adage qui vante l’alcoolisme. Mon humeur s’allège. Je ne sais pas encore qu’en fin de journée, je trouverai une place au port de plaisance de Digoin, qu’il y fera beau, que je pourrais me promener en bord de Loire et papoter avec les plaisanciers du dimanche même si on est samedi.

  • Josse

    De son vrai prénom, Joseph. Son van garé à côté du mien alors on finit par discuter ensemble. Il se dit un cul salé. Un Breton, quoi. On parle fourgon, aménagements, système de chauffage, obturation des vitres … on parle de nos maisons, quoi.
    Six années qu’il vit ainsi, heureux même si parfois des soucis : un retrait de permis de six mois, la pension qui ne suffit pas toujours. Je me débrouille. Il a fait la manche au gazole. Tendre son jerrycan à ceux et celles qui se servent au station service et acceptent de partager. Mais l’augmentation du prix est telle, que les gens rechignent maintenant. Il se déplace en fonction de ce qu’il a dans le réservoir, avec une préférence pour l’Ardèche, les Pyrénées, le sud du pays. En lui des rêves d’Andalousie.
    Dans une autre vie, il a eu une compagne et exercé le métier de cuisinier. Puis le ras bol de la routine. Quelques conneries. Trop d’alcool aussi.
    Maintenant c’est fini. Une bière de temps à autre et il se tient à distance des fauteurs d’ennuis. De toute façon, je suis un solitaire. Un solitaire qui aime les gens.
    Il me montre les paillettes d’or qu’il a trouvées et rangées dans un petite boite transparente : J’ai eu envie de devenir chercheur en regardant un documentaire. Au début, j’étais nul alors j’ai suivi un stage. J’adore chercher.
    Il me complimente sur mon fourgon puis on se quitte, peut-être qu’on se retrouvera quelque part ailleurs. Peut-être.