• Stéphanie

    A Queuille, petite commune du Puy-de-Dôme il y a superbe panorama sur le méandre de la Sioule et … Stéphanie qui tient l’improbable boucherie, charcuterie, épicerie Garachon. Dès l’extérieur les enseignes intriguent par leurs couleurs et leur amoncellement, dedans on peut visiter un petit musée avec des outils, des photos, des cartes postales.
    Disons-le, c’est un peu foutraque et Stéphanie qui vous accueille ne s’en défend pas : Je suis du genre décalée. Et à moi qui n’est ni chèque, ni liquide pour payer – je comptais sur ma carte bleue mais la maison n’est pas équipée – elle propose de lui envoyer un chèque par la poste. Cette confiance me touche.
    Alors je repars avec des yaourts, des pommes, du jambon et des merguez (elle me fait un prix, parce que c’est comme ça). Elle sourit souvent, se moque d’elle-même : J’agace certains clients à pas faire les choses comme il faut. Pas moi, il se dégage d’elle du généreux, du singulier et les produits sont de qualité. Je n’ose pas lui poser trop de questions, elle semble avoir pas mal de boulot. Mais quand elle me demande si je suis sur facebook en ajoutant : J’aime bien voyager à travers la vie des autres. Je me doute que ce n’est peut-être pas de la boucherie familiale dont elle rêvait plus jeune. Je la quitte avec regret, en me promettant d’y retourner pour elle et pour la région qui est vraiment belle.
    Alors que j’ouvre la porte, elle rajoute : et si pendant votre balade vous trouvez des heures perdues, vous pouvez me les ramener, j’en manque sérieusement. .

  • Guillemette

    A son arrivée à l’atelier d’écriture, j’ai pensé en tout premier lieu : quelle énergie ! Le pas vif, le sourire grand et un tabouret calé sous le bras. Une table adaptée à sa petite taille a suivi, portée par un participant. Forcément, il faut avoir le sens de la débrouille quand on habite dans un monde de géants. Elle a appris aussi à devancer les étonnements, les questions voire la gêne liée à son mètre seize.
    Après avoir travaillé avec des jeunes enfants dont on imagine le plaisir d’avoir enfin un adulte à leur hauteur, elle s’est fait conteuse avec un compère qui frôle le mètre quatre vingt-dix. Sa diction parfaite est un atout et révèle aussi les origines. Elle a grandi dans une famille catholique de huit enfants où l’on se vouvoie entre frères et sœurs. Le père était amiral.
    Chez elle, dans la campagne du Haut Anjou, nous avons partagé café et anecdotes, conscientes de nos différences d’origines et d’appartenances politiques. La lecture à voix haute comme territoire commun.
    Dans sa maison tout a été pensé et construit à sa taille pour autant une chambre et une salle de bain ont été prévues pour ses grands ami.es.
    Dans un livre La Douce ardente, à travers le personnage de Lucie, elle évoque ce qui parfois ne peut se dire de manière trop directe. D’ailleurs elle ne s’attarde jamais longtemps du côté de l’intime car Guillemette de Pimodan est, avant tout, une femme qui agit.

  • Josse

    De son vrai prénom, Joseph. Son van garé à côté du mien alors on finit par discuter ensemble. Il se dit un cul salé. Un Breton, quoi. On parle fourgon, aménagements, système de chauffage, obturation des vitres … on parle de nos maisons, quoi.
    Six années qu’il vit ainsi, heureux même si parfois des soucis : un retrait de permis de six mois, la pension qui ne suffit pas toujours. Je me débrouille. Il a fait la manche au gazole. Tendre son jerrycan à ceux et celles qui se servent au station service et acceptent de partager. Mais l’augmentation du prix est telle, que les gens rechignent maintenant. Il se déplace en fonction de ce qu’il a dans le réservoir, avec une préférence pour l’Ardèche, les Pyrénées, le sud du pays. En lui des rêves d’Andalousie.
    Dans une autre vie, il a eu une compagne et exercé le métier de cuisinier. Puis le ras bol de la routine. Quelques conneries. Trop d’alcool aussi.
    Maintenant c’est fini. Une bière de temps à autre et il se tient à distance des fauteurs d’ennuis. De toute façon, je suis un solitaire. Un solitaire qui aime les gens.
    Il me montre les paillettes d’or qu’il a trouvées et rangées dans un petite boite transparente : J’ai eu envie de devenir chercheur en regardant un documentaire. Au début, j’étais nul alors j’ai suivi un stage. J’adore chercher.
    Il me complimente sur mon fourgon puis on se quitte, peut-être qu’on se retrouvera quelque part ailleurs. Peut-être.

  • Pierre

    Il vit à Saint-Marc commune de Saint-Nazaire. Depuis toujours. Sa maison n’est pas loin de la fameuse plage où se tourna le film Les Vacances de M. Hulot du non-moins fameux Jacques Tati. Il figure un des enfants que l’on aperçoit dans certaines séquences, il avait 11 ans. Mémorable été 1952.
    Instituteur dans la même ville sa devise aura été tout le long de sa carrière : Aux enfants, il faut apprendre à lire et à nager. Et ils auront été nombreux, garçons et filles, à savoir nager et lire grâce à lui.
    Dans sa maison on peut voir ses bricolages (c’est le terme qu’il a employé) où il tisse fils et objets trouvés sur les plages. Il aquarellise (c’est le mot qui me vient) les oiseaux, les crustacés et surtout les paysages de l’île d’Houat qu’il connaît comme personne. Chaque année il loue une maison ouverte aux ami.es et se souvient des années 70 quand il venait en famille camper de manière dites sauvage sur les rives de l’île avant qu’un camping ne cadre l’afflux des touristes. On peut emporter ses dessins et les textes qu’il commande auprès de son entourage dans des livres auto-édités avec soin. Il y a chez cet homme, devenu un ami, un appétit de vie contagieux même quand il fait son cabochard sans que jamais une lueur de malice ne quitte son regard.

  • Yolande

    Un verre partagé avec elle que j’ai découverte, il y a longtemps, dans un café théâtre de Bruxelles, un poireau à la main, du sang sur les bras : Sale affaire du sexe et du crime. Nous étions jeunes. J’étais épatée. Conquise.
    Puis Lapin chasseur, puis Les Deschiens et le film revu plusieurs fois : Quand la mer monte. Son premier long métrage
    Elle me fait du bien cette femme avec sa taille haute et son style à ne pas jouer dans la catégorie poids-plume. Je peux me reconnaître en elle.
    Ce soir-là, c’est à Segré, au bar du Cargo. Elle vient de donner son spectacle sur Prévert avec Christian Olivier des Têtes Raides. Je peux enfin lui donner le livre que je n’avais pas osé ou su lui envoyer, il y a quelques années. L’échange est simple même si la fatigue est là.
    Elle termine le tournage de son prochain film Même au milieu des ruines. La production n’est pas fan du titre, mais elle y tient. Notre conversation est entrecoupée par des demandes de selfies. Moi, je prends cette photo dont je ne suis pas satisfaite, mais voilà.
    Toujours un moment étrange d’être en conversation avec une personne qui vous est familière et de sentir que, forcément, pour elle vous êtes une inconnue.

  • Laurent

    Segré-en-Anjou bleu, centre-ville, un pas de porte avec le mot taxidermiste en façade. Pas de vitrine. Juste des mots. Je m’interroge aussitôt : qui ? Quoi ? Comment ? J’ai toujours été fascinée, dans les musées d’Histoire naturelle, par la section dédiée aux animaux naturalisés. L’étrangeté du vivant figé dans la mort. Alors j’ose. Coup de fil. Rendez-vous et j’entre dans l’antre du taxidermiste.
    Laurent Joyaux est un passionné. D’abord sapeur-pompier de la ville de Paris, il profite de son temps libre pour se former à un métier qui l’attire depuis longtemps. Gamin il aimait les balades en forêt ou dans les marais pour traquer l’animal. Chasser aussi, il ne s’en cache pas. Surtout à l’arc. Il ne prélève pas d’animaux pour les naturaliser, ce sont ses clients qui lui apportent des peaux. A 35 ans, il a quitté les sapeurs pour se lancer dans le métier qui le passionne toujours autant.
    Il aime travailler tard dans la nuit : Quand je commence une bête, j’aime bien rester longtemps en contact avec elle pour lui donner forme
    Trophées de chasse, animaux de compagnie, objets de décoration ou de musées, le boulot ne manque pas. Par contre il va arrêter les animaux de compagnie, ses client.es sont souvent déçu.es, leur animal, en fait, est bel et bien mort.

  • Christian

    La Rochelle. Bord de l’Océan. Parking.
    Table et chaise pliantes. Comme chez lui. Il vient là régulièrement pour déguster des pétons achetés sur le marché. Avant il les ramassait lui-même mais le corps ne veut plus.
    Corps usé par 37 années de labeur chez Alsthom.
    Travail en horaires décalés. Les 3×8 qui vous sapent le corps et le sommeil.
    Il avait le sens du travail bien fait. Ouvrier à l’ancienne comme il dit. Certains de ses collègues sont montés chef. Pas lui. Il n’était pas vendéen.
    Les dernières années plus difficiles. Se faire traiter de fainéant après tout ce temps donné à la boite.
    Dur à avaler.
    Des années à limer. Limer. L’arthrose qui s’installe.
    Maintenant il est à la retraite et gagne mieux sa vie qu’en travaillant. Alors il profite.
    La vie est belle quand on en demande pas trop.