• Mon chéri on the road – 21

    La veille d’un grand week-end, le long du canal à Redon, j’ai posé le fourgon pour profiter de la riche programmation du Ciné Manivel : un film, une tartine au bar, un tour aux toilettes puis un autre film – mon humble festival de Cannes !
    Dans la nuit, je rejoins le fourgon garé parmi quelques autres campings-cars, ça me va, j’ai le sens du partage. Mais au matin je constate que la situation a changé, je suis cernée. Des dizaines de mastodontes sont arrivés et se sont parqués collés-serrés. Mon fourgon semble bien frêle au milieu de cette masse. Quel est le plaisir de se déplacer dans un véhicule qui ressemble à un gros congélateur et dont le prix oscille entre 100 000 et 200 000 euros, sachant que le plus souvent ils doivent se poser sur des parkings bitumés sans ombre, ni vue. Quelque chose m’échappe et d’ailleurs, dès ce soir, je vais m’échapper d’ici.
    En attendant de prendre le large, je croise un chien affable que je reconnais : Ama, suivie de Lola, une nomade d’une trentaine d’années, rencontrée il y a quelques mois à l’île aux pies. Depuis elle a changé de fourgon, terminé son stage de construction en terre crue et débuté un chantier. Elle me conseille d’aller divaguer dans les friches de l’usine Garnier (Une ancienne manufacture de machines agricoles qui a fermé ses portes en 1980) – 20 000 mètres carrés pour divaguer, oui, au milieu des arbres, des prairies, les traces d’un ancien festival de street art, de la charpente métallique, des entrepôts abandonnés, un charmant potager associatif, les ateliers de la formation en terre crue… Je divague, le verbe me va. Dire le vague des jours, la vague du temps. Je m’assoie. J’écris. J’oublie les congélateurs.
    Tôt le lendemain, je pars pour Rochefort-en-terre, un de ces magnifiques villages français devenue infernaux à cause de l’affluence touristique. On peut y acheter des bonbons chimiques par kilos, des figurines en plastique made in quelque part loin d’ici, mais impossible de trouver du pain frais. Pour profiter des superbes maisons, il faut traverser le village avant dix heures.
    Je suis venue pour participer à la fête organisée par le comité de soutien de Vincenzo Vecchi. Il y a 20 ans, il était condamné pour « dévastation et pillage » suite à sa participation aux manifestations contre le G8 organisé à Gênes. Un chef d’accusation rédigé dans les années trente sous le régime fasciste.  Réfugié en France, il sera incarcéré en 2019, puis libéré et en attente du verdict. Une importante partie du village s’est mobilisée pour soutenir leur voisin, leur copain, leur ami. Pour mieux comprendre, vous pouvez écouter un podcast : ici.
    Depuis mars, le cauchemar est fini, Vincenzo devenu Vincent, est libéré de toutes poursuites. Il peut reprendre sereinement son métier de charpentier et l’éducation de sa fille. Au café de la pente, près de deux cent cinquante personnes venues d’ici et d’ailleurs, se retrouvent dont l’écrivain Eric Vuillard : ça parle, ça s’enlace, ça boit des coups, ça se remémore et pour les plus militants, le constat qu’il n’y aura plus la réunion du mardi. Quarante mois que ce rendez-vous était pris. Je ne connais personne et la soirée se finira tôt pour moi, mais c’était bien d’être là.
    Jean-Luc et sa compagne me trouvent un endroit où poser mon fourgon, m’offre une salade du jardin et la possibilité de remplir mes réserves d’eau. Dans une boite à livres, je dégote un ouvrage digne d’intérêt, c’est rare : Le récit d’un voyage entrepris par le très jeune Patrick Leigh Fremor – De 1933 à 1935 il rallie à pied Londres à Constantinople. C’est rudement bien écrit et il est un bon observateur. Je découvre qu’à l’époque, aux Pays Bas, le nomade pouvait demander asile dans les commissariats et passer sa nuit dans une quelconque cellule. Les temps ont changé.
    Et déjà, il est temps pour moi de rejoindre Saint Molf où une rencontre-lecture est programmée. En cours de route je me baigne sur une des plages de Pénestin, l’eau est délicieusement fraîche même si de magnifiques méduses gâchent un peu mon plaisir. Chaque jour, je le constate, on ne vit pas seul dans ce monde.

  • Mon chéri on the road – 20

    Moment de bonheur quand je me pose dans un endroit qui associe vue généreuse sur le paysage, solitude et sentiment, important pour moi, de ne gêner personne. Même si regarder un coucher de soleil de son lit est un pur bonheur, je n’impose pas la présence du fourgon aux promeneurs et promeneuses du chemin. Je veille à ne pas gâcher le paysage. Depuis ma dernière chronique beaucoup de lieux, de rencontres, de lectures, d’événements. Heureusement je note tout dans un carnet. Il y aura eu les quelques jours passés chez des ami.es vers Brioude ponctués par des balades, des repas bavards et le coup de main donné pour rentrer du bois. Il y aura eu Stéphanie de l’improbable boucherie à Queuille. Il y aura eu une belle bosse à l’arrière du fourgon due à je ne sais qui parti sans laisser de message – évidemment.
    Et il y a le retour à Saint-Marc pour le Mai des arts : le temps d’un week-end, sept jardins qui s’ouvrent au public et proposent œuvres d’arts, activités manuelles, produits locaux puis, le soir, tout le monde se retrouve à la Villa Plaisance pour partager nourriture, boissons, lectures, musique et vue sur l’estuaire de la Loire qui quelques mètres en aval devient océan. La pluie est tombée avant et après l’événement – Ouf. Une infection O.R.L accompagnée d’une toux fatigante et ingérable, m’a pompée beaucoup d’énergie. Le fourgon sent les huiles essentielles et j’ai lutté ferme contre l’invasion avec la trouille de ne pas réussir à donner ma lecture du samedi – Re-ouf ! Avec la complicité du musicien Yann Féry, j’ai pu traverser Mère éléphante sans toux et sans larmes ( c’est un texte où je dois maîtriser mes émotions personnelles pour tenir le cap de la lecture). La réaction du public aura mis du baume sur mes cordes vocales. Résumer ces deux jours n’a rien d’évident, ce fut en tout cas formidable de partager l’engagement de nombreux de bénévoles, d’offrir un moment de plaisir aux passantes et passantes du littoral. Du beau boulot ! Maud Leroy des éditions Des Lisières était là et ses livres aussi. Elle sera ensuite l’hôte de mon fourgon le temps de quelques rencontres vers Orvault. Vivre de peu. Vivre intensément. Et il m’arrive de dire merci à je ne sais qui, à je ne sais quoi pour mon bonheur d’être au monde. Jouir de la vie car d’autres, pas si loin de nous, subissent la guerre au quotidien. La violence de là-bas qui contraste avec la légèreté du soleil matinal hôte de mon fourgon. A la radio, un paysan ukrainien raconte qu’il devrait, à cette époque de l’année, préparer la terre pour recevoir des semences, mais cela ne sera pas possible. Ses champs sont infestés de mines. Pourquoi ce récit m’a-t-il particulièrement émue, je ne saurais dire. Peut-être le tangible de la situation. Ensemencer est un moment tendu vers l’avenir, on y puise du courage pour se mettre au labeur, et voilà que, pour cet homme, l’avenir est un terrain miné ! A Saint – Marc on ouvre les jardins, en Ukraine on condamne l’accès aux champs.

  • Stéphanie

    A Queuille, petite commune du Puy-de-Dôme il y a superbe panorama sur le méandre de la Sioule et … Stéphanie qui tient l’improbable boucherie, charcuterie, épicerie Garachon. Dès l’extérieur les enseignes intriguent par leurs couleurs et leur amoncellement, dedans on peut visiter un petit musée avec des outils, des photos, des cartes postales.
    Disons-le, c’est un peu foutraque et Stéphanie qui vous accueille ne s’en défend pas : Je suis du genre décalée. Et à moi qui n’est ni chèque, ni liquide pour payer – je comptais sur ma carte bleue mais la maison n’est pas équipée – elle propose de lui envoyer un chèque par la poste. Cette confiance me touche.
    Alors je repars avec des yaourts, des pommes, du jambon et des merguez (elle me fait un prix, parce que c’est comme ça). Elle sourit souvent, se moque d’elle-même : J’agace certains clients à pas faire les choses comme il faut. Pas moi, il se dégage d’elle du généreux, du singulier et les produits sont de qualité. Je n’ose pas lui poser trop de questions, elle semble avoir pas mal de boulot. Mais quand elle me demande si je suis sur facebook en ajoutant : J’aime bien voyager à travers la vie des autres. Je me doute que ce n’est peut-être pas de la boucherie familiale dont elle rêvait plus jeune. Je la quitte avec regret, en me promettant d’y retourner pour elle et pour la région qui est vraiment belle.
    Alors que j’ouvre la porte, elle rajoute : et si pendant votre balade vous trouvez des heures perdues, vous pouvez me les ramener, j’en manque sérieusement. .

  • Mon Chéri on the road – 19

    Écrire chaque jour dans mon carnet de bord est indispensable si je ne veux pas m’embrouiller dans les lieux, les dates, les impressions. Le relisant, je prends conscience de tout ce qui a été si vitement oublié.
    Direction Lyon où j’ai passé quelques jours chez mes filles, puis à la Croix-Rousse, le fourgon posé le long du parc Chazière. Singulière expérience que de dormir en mode nomade dans une ville où l’on a toujours eu un habitat fixe même quand c’était sur le Rhône avec la péniche. Squatteuse de l’espace public. J’ai vécu la ville presque en catimini. Puis j’ai embarqué le petit garçon pour trois jours. Il apprécie cette maison de poupée roulante et comme il sait traîner dans les livres, la cohabitation a été facile même si la fraicheur nous contraignait au repli dans le fourgon dès 18h. On a beaucoup parlé oiseaux après une longue exploration du parc de Villard-les-Dombes.
    Halte chez Laurent Peyronnet, ami des réseaux sociaux. Se voir enfin, en vrai, le temps d’un repas, d’une discussion où il aura été question de littérature (il écrit pour la jeunesse) puis il m’ a aidé à penser un voyage en Norvège (il est guide ) – oui mais quand ? Beaucoup de travail pour la période 2023/24. Au printemps 2025, ce serait pas mal. L’inscrire sur l’agenda ?
    Il y aura eu aussi la remise du Prix des lycéens Ile-de-France et la joie de recevoir cette reconnaissance de la part de jeunes lecteurs et lectrices. Fière. Émue. J’emporte ce moment pour m’en souvenir les jours où l’écriture n’avance pas, où les ventes ne sont pas réjouissantes et quand les médias ignorent mon travail malgré…
    Aujourd’hui, j’écris installée à l’avant du fourgon entre Massifs de Belledonne et de la Chartreuse (oui c’est beau) juste à côté du péage de Pontcharra (oui c’est moins bucolique). J’ai retrouvé Xavier mon fourgoniste attitré pour qu’il répare le système d’ouverture de la porte latérale abimé après un tournant pris trop serré. La pièce nécessaire à la réparation se fait attendre, alors j’attends. J’écris, j’administre, je m’occupe. La piscine est accessible à pied, le cinéma aussi. J’essaie de ne pas trop déranger l’équipe au travail, dont deux jeunes femmes qui manient disqueuses, perceuses, scie circulaire avec une dextérité qui semble encore surprendre certains hommes – pas ici en tout cas. Ce midi j’ai préparé le repas qu’on a pris au soleil. On a parlé fourgons, voyages, aménagements et poivrons confits. J’observe la vie quotidienne de cette zone dédiée au travail artisanale avec un, fort appréciable, magasin de produits locaux. Tôt le matin j’ai été saluer le camarade écrivain Antoine Choplin qui habite, pas très loin, dans les hauteurs. Nous avons parlé du monde qui va et ne va pas. Trois années sans nous voir, nous a rendu bavards. Puis retour à l’atelier où la pièce est enfin arrivée, mais sa mise en place s’annonce galère. J’observe Xavier qui cherche à comprendre : ça doit marcher. Oui mais comment ? J’ai toujours été fascinée par l’intelligence des manuels. Leur obstination à vouloir percer le mystère d’une pièce, d’une mécanique. Leur patience même si, parfois, un gros mot vient ponctuer un ratage. Le regarder me permet aussi de mieux comprendre comment fonctionne Mon Chéri et où se logent les trappes, les câbles, les fusibles… Les dessous de l’affaire !
    Il y a trois jours, j’étais à Notre – Dame du Mont au-dessus de La Côte Saint André avec une vue imprenable sur la vallée de la Bièvre. Les oiseaux, la montagne et le calme. J’aime naviguer entre cartes postales et zones artisanales. Dans quelques jours direction la Haute – Loire. Je me sens chanceuse de pouvoir apprécier chaque instant de vie sans courir vers le jour d’après, même les jours de galère. Je suis là où ma maison est posée.

  • Guillemette

    A son arrivée à l’atelier d’écriture, j’ai pensé en tout premier lieu : quelle énergie ! Le pas vif, le sourire grand et un tabouret calé sous le bras. Une table adaptée à sa petite taille a suivi, portée par un participant. Forcément, il faut avoir le sens de la débrouille quand on habite dans un monde de géants. Elle a appris aussi à devancer les étonnements, les questions voire la gêne liée à son mètre seize.
    Après avoir travaillé avec des jeunes enfants dont on imagine le plaisir d’avoir enfin un adulte à leur hauteur, elle s’est fait conteuse avec un compère qui frôle le mètre quatre vingt-dix. Sa diction parfaite est un atout et révèle aussi les origines. Elle a grandi dans une famille catholique de huit enfants où l’on se vouvoie entre frères et sœurs. Le père était amiral.
    Chez elle, dans la campagne du Haut Anjou, nous avons partagé café et anecdotes, conscientes de nos différences d’origines et d’appartenances politiques. La lecture à voix haute comme territoire commun.
    Dans sa maison tout a été pensé et construit à sa taille pour autant une chambre et une salle de bain ont été prévues pour ses grands ami.es.
    Dans un livre La Douce ardente, à travers le personnage de Lucie, elle évoque ce qui parfois ne peut se dire de manière trop directe. D’ailleurs elle ne s’attarde jamais longtemps du côté de l’intime car Guillemette de Pimodan est, avant tout, une femme qui agit.

  • Mon chéri on the road – 18

    Nevers. Garée au bord de la Loire avec la ville qui se laisse joliment voir de la rive. Le jour s’efface du ciel et le paysage s’obscurcit, je ne me sens pas vraiment bien dans cet endroit (sans pouvoir me l’expliquer) la fatigue sans doute. Fatigue qui me rend trop paresseuse pour chercher un ailleurs. Je ferme la porte, tire les rideaux, me contente d’une eau chaude avant de me réfugier dans mon lit quand une clameur grave et répétitive s’impose. Cela pourrait être un match de foot, sauf que je crois entendre : Sieg heil Sieg heil ! Le salut hitlérien. Je sais me tromper, mais c’est effrayant tout de même. Je m’éloigne du mirage en écoutant un podcast. C’est Léon Blum que j’invite sous la couette. L’émission réalisée par Philippe Collin est passionnante. Constat honteux, je ne savais pas grand chose de l’homme. Grand bourgeois, dandy mais défenseur d’un monde égalitaire. Un socialiste comme on aimerait qu’il en restat encore un de nos jours. Il aura été l’auteur d’ un essai en 1905, Du mariage, où il défend la liberté sexuelle des femmes. Ce qui lui valut bien des haines alors qu’il devait déjà faire face à un violent antisémitisme.
    Je dors plutôt bien et les supporters (peut-être aussi des supportrices) ont quitté les lieux. Humeur pénible au matin, je suis paralysée par l’indécision : Partir de suite ? Rester écrire ? Filer direct vers Lyon ? Visiter la ville ? J’opte sans conviction pour la dernière option. Bien qu’il soit presque dix heures, les gens sont absents des rues. Le bâti est superbe, mais le musée de la faïence et des beaux-arts n’ouvrent qu’à 14h, idem pour la médiathèque où j’aurais pu me poser pour écrire. Reste le sanctuaire de Sainte-Bernadette mais je manque vraiment de ferveur mystique ce matin. La rue piétonne, à l’instar de nombreuses villes moyennes, offre la triste vision d’un magasin sur trois définitivement clos. J’envoie un texto à Valérie Rouzeau dans l’espoir d’un café partagé et constaterai tardivement qu’il a été bloqué. La ville me résiste.
    Dépitée, je m’installe dans un PMU pour y paraphrasait sur mon journal de bord Marguerite Duras qui écrivait en parlant de vin : Le côte du Rhône, ce n’est jamais décevant en osant un Le PMU ce n’est jamais décevant. Effectivement le café est bon et le théâtre de la vie se déroule devant moi sans que j’aie d’efforts à donner. D’abord le couple d’asiatiques qui tient les lieux, très gentils, mais dont je ne comprends rien à ce qu’ils me disent et apparemment les autres clients non plus. Les deux gars du comptoir qui parlent l’arabe et boivent coup sur coup trois cafés chacun alors que je sirote encore le mien, vers l’entrée, un homme sans âge, mal fagoté, nerveux, remplit régulièrement des grilles de jeux qui ne semblent ne lui apporter que déception. Et s’il gagnait gros, que ferait-il de cet argent ? Saurait-il changer de vie ?
    Je prend une photo, fascinée par le sempiternel adage qui vante l’alcoolisme. Mon humeur s’allège. Je ne sais pas encore qu’en fin de journée, je trouverai une place au port de plaisance de Digoin, qu’il y fera beau, que je pourrais me promener en bord de Loire et papoter avec les plaisanciers du dimanche même si on est samedi.

  • Josse

    De son vrai prénom, Joseph. Son van garé à côté du mien alors on finit par discuter ensemble. Il se dit un cul salé. Un Breton, quoi. On parle fourgon, aménagements, système de chauffage, obturation des vitres … on parle de nos maisons, quoi.
    Six années qu’il vit ainsi, heureux même si parfois des soucis : un retrait de permis de six mois, la pension qui ne suffit pas toujours. Je me débrouille. Il a fait la manche au gazole. Tendre son jerrycan à ceux et celles qui se servent au station service et acceptent de partager. Mais l’augmentation du prix est telle, que les gens rechignent maintenant. Il se déplace en fonction de ce qu’il a dans le réservoir, avec une préférence pour l’Ardèche, les Pyrénées, le sud du pays. En lui des rêves d’Andalousie.
    Dans une autre vie, il a eu une compagne et exercé le métier de cuisinier. Puis le ras bol de la routine. Quelques conneries. Trop d’alcool aussi.
    Maintenant c’est fini. Une bière de temps à autre et il se tient à distance des fauteurs d’ennuis. De toute façon, je suis un solitaire. Un solitaire qui aime les gens.
    Il me montre les paillettes d’or qu’il a trouvées et rangées dans un petite boite transparente : J’ai eu envie de devenir chercheur en regardant un documentaire. Au début, j’étais nul alors j’ai suivi un stage. J’adore chercher.
    Il me complimente sur mon fourgon puis on se quitte, peut-être qu’on se retrouvera quelque part ailleurs. Peut-être.

  • Mon chéri on ther road – 17

    Pour faciliter mes trajets vers Paris et la Seine-et-Marne, j’ai posé le fourgon à Saint-Nazaire où la gare est bien desservie. Et malgré les grèves, j’ai réussi à me rendre à Chelles, Lagny, Paris, Vaux-le-Pénil, Melun pour des rencontres organisées par la Maison des écrivains et de la littérature dans le cadre du Prix des lycéens. Fatigantes, stimulantes, nécessaires. De ces rencontres une élève en classe Tassp (accompagnement, service et soins à la personne) dira la force et la confiance qu’elle y a puisé. Ces mots donnent sens à mon travail et balaie les doutes. Tant pis si une partie du monde littéraire ne s’intéresse pas à mes écrits. Des jeunes s’en emparent et c’est joyeux.
    Après avoir couru après RER, TER et autres TGV, je rentre fourbue et me pose chez une amie avant de reprendre le volant. Je n’irai pas très loin car les grands axes sont occupés ainsi que les raffineries de Donges. Le monde du travail est en colère – ah bon ? Alors en cette période de refus, de barrage contre le mépris et l’impossibilité de mettre du carburant dans Mon Chéri, je me pose ça et là dans la ville afin de la connaitre mieux. Les emplacements ne manquent pas et de partout j’entends les mouettes.
    Aujourd’hui, je me suis arrêtée vers le parc paysager et la piscine (le maillot est prêt). Je vais photographier les alentours puis retourne dans le fourgon pour écrire, lire et me tenir au courant des événements, y participer éventuellement. Rester ici me va car j’aime cette ville et c’est ici que je me sédentariserai un jour. Décision prise un soir où une amie organisait un pot de départ au café Sous les palmiers. L’océan se laissait voir par les vitres, les gens présents étaient chaleureux, joyeux et drôles. Gens de tous les âges et de tous les milieux (il me semble). Les discussions étaient fluides et cela dansait vers la sono. J’ai regardé le lieu avec le recul d’une photographe cherchant le bon cadre puis j’ai pensé : Oui, je fais partie de cette ville. Ville découverte, il y a 6 ou 7 ans, le temps d’une résidence organisée par le CCP sur le thème du travail en horaires décalés qui m’avait permis de rencontrer ouvriers, intérimaires, femmes de ménage, tourneurs, soudeurs, etc. Un livre en découlera : 44 Brèves de Saint-Nazaire.
    Aujourd’hui le vent agite le ciel et les arbres. Le soleil hésite, lumières changeantes. Le front de mer attire les touristes et les nouveaux habitants. Les chantiers, les usines, les silos calment l’ardeur des investisseurs immobiliers, préservant la mixité sociale dont la ville tire un dynamisme singulier. Saint-Nazaire pas toujours séduisante et certains vont jusqu’à la qualifier de laide, alors je chantonne avec Delphine Coutant des paroles que je fais mienne :

    Comment peux-tu dire de ma ville qu’elle est laide ?

    Quand elle se dresse fière face à l’Océan

    Quand dans ses artères peut circuler le vent

    La nomade que je suis, a trouvé son port d’attache et je mesure, subitement, toute la force de cette expression.

  • Mon Chéri on the road – 16

    Lanildut dans le Finistère, pays d’Iroise – Mon fourgon posé sur le terrain d’une famille qui retape une ancienne bâtisse. Héritage qui occupe. Préoccupe. Les enfants fréquentent une école Diwan, le drapeau breton flotte sur le jardin et toute la famille est soucieuse de mon bien-être. Électricité, toilettes et douche chaude à disposition. Les enfants s’invitent parfois dans le fourgon et, à la lumière d’une bougie, je leur lis de la poésie. Ils me récompensent avec des dessins de licornes. Commerces et chemin côtier sont accessibles à pied.
    J’aime prononcer ce nom de Lanildut qui vient du breton et du gallois : Ermitage. Langue étrangère à mes racines qui puisent dans les langues celtiques et indo-européennes. Pays catholique, pays des abers, pays qui m’est délicieusement étranger. Le matin, j’écris puis je pars pour de longues balades sur le GR 35. Décor qui change plusieurs fois par jour selon la position du soleil, les marées, la pluie et l’humeur du vent. Je ne m’en lasse pas. Devant les 11 mètres carrés d’un ruskos qui fut maison de guet au 18 ème siècle et actuellement propriété de l’artiste Jean-Luc Salmon, je rêve : Deux fois plus grand que mon fourgon !
    Parfois, je m’offre une boisson chaude au bar, restaurant, librairie Le Chenal et repars lestée de livres sur le voyage, dont Un squat sur un plateau qui narre et analyse l’incroyable expérience d’un squat dans l’ancien collège Maurice Scève à Lyon qui accueillit jusqu’à 400 jeunes mineurs-migrants grâce à un fonctionnement autogestionnaire improbable et pourtant efficace. J’avais participé à quelques événements là-bas et mon étonnement devant cette folle expérience. Au Chenal, je suis bien. Ceux et celles d’ici trouvent que c’est un repaire à touristes. Personnellement j’y trouve un lieu apaisant et accueillant.
    Un jour de grand vent j’ai croisé sur le chemin un curé en soutane, bel homme d’une cinquantaine d’années, qui retenait difficilement, face aux assauts de la bourrasque, les pans de son ancestral vêtement. J’ai eu quelques mauvaises pensées, puis me sont revenues des images, un peu plus austères, du film de Maurice Pialat : Sous le soleil de Satan.
    Mes nuits sont agitées : coup de vent, pluie et pas mal de froidure. Électricité capricieuse. Les matins sont une résurrection.
    Profitant d’un covoiturage j’ai visité Brest un jour de grisaille et de très grand froid. Brest liée à mon frère Claude qui s’était engagé dans la Marine nationale pour trois ans, puis habita quelques temps la ville. Il nous envoyait des lettres bien écrites et drôles, à nous sa famille restée en Lorraine. L’adolescente que j’étais, puisa dans cette ailleurs la force de partir un jour. A Brest, j’ai longé le port pour finir dans une sinistre impasse. J’ai traversé le centre-ville à l’architecture typique des villes détruites par la guerre, si propice aux courants d’air, j’ai poursuivi jusqu’au quartier Saint-Martin dont les façades de maison osent des couleurs franches et vivifiantes. En moi a résonné la chanson de Miossec :

    Tonnerre, tonnerre, tonnerre de Brest
    Mais nom de Dieu, que la pluie cesse

    Le lendemain, sur le chemin côtier, une femme engoncée dans une doudoune protectrice, prononce mon prénom. En face de moi Pauline Guillerm qui a été stagiaire d’une formation que j’ai animée pendant de plusieurs années au Crefad de Lyon. Maintenant, elle écrit du théâtre, met en scène ses textes et mène un joli chemin en écriture. Nous partageons un verre au Chenal. Deux grandes bavardes qui tentent de résumer leur parcours de vie, cela donne un peu le tournis.
    Presque chaque matin, dans la fraicheur du fourgon aux vitres givrées, pendant que l’eau bout et réchauffe l’espace, mes pensées me ramènent au peuple ukrainien qui connaît le froid désespérant de la météo et, aussi, de la destruction et de la peur. Pays si proche et pourtant l’Europe bien timorée. Comme toujours les alliés réactifs seulement quand l’intégrité de leur propre pays est en jeu. Toujours trop tard car le drapeau de la liberté sera hissé sur une montagne de cadavres. C’est la jeunesse qui meurt en Ukraine pendant qu’en France l’inflation engraisse les puissants.
    Je retourne sur le chemin côtier. Le vent roule les vagues, emporte les oiseaux. La lumière est fabuleuse. Je ne sais plus rien penser du genre humain dont je fais pourtant partie : `

    En moi n’ai ni venin ni fiel :
    ne me reste rien sous le ciel,
    tout passe et va.
    Rutebeuf


  • Pierre

    Il vit à Saint-Marc commune de Saint-Nazaire. Depuis toujours. Sa maison n’est pas loin de la fameuse plage où se tourna le film Les Vacances de M. Hulot du non-moins fameux Jacques Tati. Il figure un des enfants que l’on aperçoit dans certaines séquences, il avait 11 ans. Mémorable été 1952.
    Instituteur dans la même ville sa devise aura été tout le long de sa carrière : Aux enfants, il faut apprendre à lire et à nager. Et ils auront été nombreux, garçons et filles, à savoir nager et lire grâce à lui.
    Dans sa maison on peut voir ses bricolages (c’est le terme qu’il a employé) où il tisse fils et objets trouvés sur les plages. Il aquarellise (c’est le mot qui me vient) les oiseaux, les crustacés et surtout les paysages de l’île d’Houat qu’il connaît comme personne. Chaque année il loue une maison ouverte aux ami.es et se souvient des années 70 quand il venait en famille camper de manière dites sauvage sur les rives de l’île avant qu’un camping ne cadre l’afflux des touristes. On peut emporter ses dessins et les textes qu’il commande auprès de son entourage dans des livres auto-édités avec soin. Il y a chez cet homme, devenu un ami, un appétit de vie contagieux même quand il fait son cabochard sans que jamais une lueur de malice ne quitte son regard.