L’envers du travail – Tapisserie à partir d’un dessin de JR Tolkien – Je suis à Aubusson, visite du Musée International de la tapisserie. J’ai décidé de rester quelques temps au même endroit, camping au bord de la Creuse : de l’ombre, de la tranquillité, la ville accessible à pied. Il est interdit de nager dans la rivière pour cause de barrage alors je dois me contenter de la piscine municipale. Après de nombreux déplacements, cela me fait du bien de retrouver le même paysage au réveil, de pouvoir prendre une douche chaude, de ne pas me soucier de l’état de mes réserves d’eau et du lieu où dormir – Un an déjà que ma vie tient dans un fourgon.
Après avoir quitté la chaleur du Var, j’ai donné une lecture au Sytrah (cave de Saint Symphorien d’Ozon) accompagnée par le duo Djégo. Ambiance sympathique, fluide et dansante. Dans le public mes quatre filles, mes quatre gendres et leurs enfants – Mon émotion à me tenir-là devant ma famille et le petit garçon qui vient me dire que c’était bien ma lecture.
Puis j’ai dormi dans les hauteurs de Lyon alors que les émeutes étaient encore d’actualité. Quelques amis s’inquiétèrent pour ma sécurité et proposèrent gentiment de m’héberger. Moi, je suis surtout inquiète pour notre pays vieillissant qui ne sait pas prendre soin de sa jeunesse, du moins de celle issue de la migration et des banlieues pauvres. Celle issue de cette perpétuelle histoire des pays riches importateurs de main-d’œuvre étrangère pour que tourne les usines et leur business.
Dans cette nuit intranquille, je me suis souvenue d’une autre nuit d’émeute dans les années 90, où un groupe d’écrivain.es fuyait le quartier de la Duchère avec précipitation – nous devions écrire ensemble dans les hauteurs d’un immeuble voué à la destruction. Panique, jusqu’à m’oublier dans la débâcle alors que j’exprimais de la déception à ne pas rester pour écrire l’ici et maintenant. Délaissée, dépitée, je suis rentrée à pied dans la nuit enflammée, constatant que les habitants de ces quartiers subiraient, en premier lieu, les conséquences des destructions.
2023 – La nuit sera calme malgré l’intranquillité de mes pensées. Je vais raviver mes muscles au Parc de la Tête d’Or puis je quitte la ville pour les paysages du Forez, m’arrêtant chez différents ami.es avec qui j’ai bien mangé, longuement parlé, réparé le monde puis ensemble nous avons poncé des portes ou encore rangé du bois avant que je ne reprenne le volant. Je roule et constate qu’une lourde fatigue me leste le corps. Je dois m’arrêter plusieurs fois pour dormir. Mon mode de vie n’est pas toujours de tout repos surtout sur le plan émotionnel. Je décide de me poser plus longuement que d’habitude pour profiter des bienfaits de la routine. Ce sera Aubusson même si la ville est mal-menée par les nombreuses voitures qui la traversent. Je m’installe et je peux aménager, pour une fois, l’extérieur du fourgon : installer un auvent, déplier des sièges, étaler une couverture. Je consulte les horaires du musée, du cinéma (trop de films en VF) et ceux de la médiathèque.
Déambulant dans la ville, sans but précis, au hasard des ruelles et des raccourcis, j’ai rencontré Mady, une dame de quatre-vingts ans qui m’a invitée chez elle, une maison pleine d’objets et de souvenirs, pour me montrer ses broderies au point de Sarrasin et me raconter un peu de sa vie avant de m’offrir un pot de confiture à la groseille. Elle sera au centre de mon prochain Portrait – évidemment.
De retour au fourgon, profitant d’une éclaircie, j’ai mangé au bord de l’eau un pomelos à la pulpe juteuse et rafraichissante puis j’ai débuté la lecture de Travaux de l’écrivain-ouvrier Georges Navel dont je me sens si proche. Je souligne nombre de phrases dans son récit dont celle-ci qui me va bien aujourd’hui : J’ai cru découvrir, mais très tard, un principe de bonheur dans la pensée, la méditation, la songerie, la réflexion, qu’on appelle comme on voudra ce travail d’esprit, de création, de miroitement de la vie que fait n’importe qui, en allant seul, en marchant tranquille. ( … ) La vie ne vaut d’être vécue que dans la mesure où on s’en émerveille.
Et quand la nuit s’invite, malgré la fatigue, malgré la désespérance d’un monde qui m’échappe, je chante à tue-tête la chanson du Chiffon rouge : « parce que si tu veux que cela change et bouge, lève-toi car il est temps »