Malgré la bruine et le vent, je suis bien, posée depuis deux jours, vers la roche fileuse qui domine la Creuse. Je pourrais vivre ici, me suis-je dit. Il y a une semaine je quittais Faux-la-Montagne et toute l’équipe de la 18ème édition du festival Folie les mots. Trois jours de théâtre, littérature, musique, ateliers. Gratuité et bénévolat sont le crédo de ce festival. Je pense à d’autres événements auxquels j’ai participé, essentiellement basés sur l’engagement des équipes organisatrices et des équipes artistiques : La Fête de la poésie jeunesse à Tinqueux, Concertina à Dieulefit, Festival des Arpenteurs aux Adrets etc.
Des lieux pour resserrer les boulons de nos convictions politiques, de nos engagements artistiques et associatifs.
Ensuite j’ai passé quelques jours chez un couple de photographes qui retapent une maison sur un terrain de 5 hectares dont un vaste étang. J’ai pu me baigner, nue, traversée par un double sentiment de plaisir et d’inquiétude à être si vulnérable dans l’ombre des imposants chênes, châtaigniers, pins et autres arbres que je ne sais pas nommer. Un texte poétique prend forme depuis quelques jours : Nager, seule.
Le vent agite gracieusement la moustiquaire du fourgon pendant que la sculpture de Saint Guerluchon veille sur moi. De nombreuses rencontres ces derniers jours. D’abord François qui me raconte combien sa jeunesse fut difficile, à ne pas savoir quoi faire de lui, entravé par un lourd bégaiement. Sa vie prend sens suite à une formation d’ambulancier, métier qu’il a adoré. A tel point, qu’un ami de longue date lui fera remarquer : Mais tu ne bégaies plus ! Il ne s’en était pas rendu compte. Sur le camping de Faux, j’avais repéré une jeune femme solitaire, j’ai été la saluer mais se dire semblait compliqué pour elle : oui elle voyage seule, dort sous un abri (elle nomme ainsi sa tente) et aimerait trouver un endroit où s’arrêter plus longuement. Je n’insiste pas. Avant son départ, elle déposera dans ma main deux fleurs de millepertuis. Deux fragiles soleils jaunes.
A Crozant, je bois un café et mange une gaufre à la terrasse de lôtel du lac. Un vieux monsieur s’approche de moi, curieux de savoir si j’écris sur la région – j’étais en train de prendre des notes dans mon carnet – Écrivaine oui, mais pas régionaliste. Puis il me raconte sa vie, né en 1940, il a été placé en nourrice puis dans des familles d’accueil le temps de la guerre et aussi après – la mère doit travailler. Adulte il s’engagera dans la marine, suivra des études en électronique, montera une entreprise assez prospère. Il est également sourcier. Je n’arrive pas à tout suivre mais j’écoute. Puis il me raconte comment, soixante après, il a retrouvé une des maisons où il avait été accueilli. Il ose frapper à la porte et … Sa voix s’étrangle, ses yeux se mouillent. Il reste un long moment sans pouvoir poursuivre. Et enfin : Elle était là devant moi, et elle m’a reconnue de suite. Des larmes encore, je tente quelques mots de réconfort. Il ne m’en dira pas plus, me quitte assez vite et me voilà dépositaire de ce bout d’histoire. Il se nomme Claude, il a quatre-vingt deux ans et me prouve, encore une fois, combien l’amour et la reconnaissance sont nécessaires à nos vies si brèves quand on arrive à l’autre bout. Dans les toilettes de l’hôtel, des larmes me secouent à mon tour. Je pleure sur qui ? Sur quoi ? Je n’en sais rien. Corps bouleversé. Ma solitude mesure toute la nécessité des autres dans nos vies. Aimer. Être aimé et vivre. Je vis.
Le vent agite un peu plus violemment la moustiquaire, la météo annonce des coups de vent. De la pluie. J’enfile un imper, noue un foulard autour de ma gorge. Je vais profiter de la vue une dernière fois. Tout à l’heure je pars en Corrèze. Les deux soleil jaunes sèchent dans un livre – Histoire de ma vie de Georges Sand acheté après la visite de sa maison à Nohant-Vic. Monique Wittig, Louise Michel, Simone de Beauvoir, Laura Vasquez, Déborah Lévy, Violette Leduc, Liliane Giraudon… Elles sont là, avec moi, dans le fourgon.