J’ai mis longtemps à écrire cette chronique. A chaque fois je me disais Il faut acter, et justement, je ne parvenais pas à acter la fin d’une période, celle de mon nomadisme en fourgon. Ce fourgon si joyeusement nommé Mon Chéri.
Les faits sont pourtant simples à décrire : J’ai acheté une maison.
J’ai acheté une maison alors que je pensais mon petit pécule insuffisant pour une telle démarche. J’ai acheté une maison alors que je pensais vadrouiller encore une année en fourgon, j’ai acheté une maison à retaper alors que je ne sais pratiquement pas bricoler, j’ai acheté une maison qui semblait m’attendre et c’est une bouleversante expérience.
Faux-la-Montagne est mon nouveau chez moi après un coup de foudre pour cette commune de moins de 500 habitant.es et pourtant si dynamique : commerces, école primaire, bibliothèque, espace de coworking, radio et télévision locales, cabinet médical, festivals, etc. Village sis sur le plateau de Millevaches, montagne limousine, plateau granitique que se partage la Corrèze, la Haute-Vienne et la Creuse. Territoire où je me suis sentie chez moi avec l’envie de m’y poser, de m’y arrêter et une maison a rendu cela possible.
J’ai acheté une de ces maisons de village peu attrayantes car sans terrain, même si ma courette est une merveille où je pourrai profiter du soleil, semer quelques plantes aromatiques et inviter les ami.es à prendre l’apéro.
Je me suis installée un 31 décembre pour que la nouvelle année débute précisément par ce vivre dans une maison en dur comme le veux l’expression. Pourtant il n’y a rien d’évident à s’installer dans une vieille maison, en plein hiver, alors que le bûcher est vide de bois, que les robinets fuient et que l’on ne sait pas comment fonctionne le chauffe-eau ou la cuisinière à bois et qu’allumer un feu convenablement a pris du temps. Heureusement des meubles laissés sur place ont rendu l’installation moins difficile car hormis le contenu du fourgon et quelques cartons (essentiellement des livres) stockés chez l’une de mes filles, je n’avais rien. Pas de lits, pas de de tables, pas d’outils, pas même une scie ou une hache pour couper du bois. Heureusement j’ai profité d’une belle solidarité de la part du voisinage et de ma famille, et aussi d’une liste de diffusion locale qui fonctionne bien (on y troque des infos, du matos, des bons plans).
Quant au froid, j’ai pris l’habitude depuis quelques années de partager mon lit avec une bouillotte. Rien de romantique mais très efficace contre les pieds gelés.
Bien sûr il y a eu (et il y aura) des moments de doutes devant l’ampleur des travaux et la modestie de mes moyens financiers, sans parler de mes incompétences, mais quand le moral est bas j’entreprends un tour du lac, soit une bonne bonne heure de marche. Une excellente manière de désamorcer les pensées négatives et, bientôt, je vais pouvoir y nager et bientôt, je pense intégrer le groupe qui se baigne chaque lundi quel que soit le temps et la température. Après ce temps de marche, je regarde ma baraque d’un autre œil et me rassure par ces mots : En fait, je me suis offert un lac !
Ici comme dans le fourgon ou la Caboulotte mon questionnement aura été : Est-ce que je vais réussir à écrire ? Force est de constater que l’écriture se fait dans la nouvelle maison.
Et je ne vis pas en dehors du monde même si ici on est loin des transports en commun. Au contraire, le monde d’ici est bien réel même s’il ne fait pas souvent la une des médias sauf quand il y a soulèvement de sa part.
J’écris chaque jour et reste fortement engagée comme citoyenne et défenseuse (ça sonne un peu comme défonceuse !) d’un monde plus égalitaire.
D’ailleurs la signature de la tribune contre le parrainage du Printemps des poètes par Sylvain Tesson m’aura bien vite remise en action. L’expérience m’aura permis d’évaluer la puissance et la violence du droite extrême et réac, et aussi de constater la douloureuse absence de soutien de personnes pour lesquels j’avais non pas de l’admiration mais une certaine attente. Décevant l’art de ne pas y toucher de l’écrivain Nicolas Mathieu qui navigue maintenant dans des sphères sociales autrement plus confortables que celle des cancrelats de gauche, des wokistes et des poètes que personne ne lit (sic), décevants les commentaires du traducteur et éditorialiste André Markowicz qui nous aura traités de pleutres (prouvant ainsi, comme beaucoup, qu’il ne connaissait rien à la réalité de ceux et celles qui œuvrent au quotidien pour la poésie et avec la poésie, ignorant que nous avions bien plus à perdre que celui qu’on nomme le Prince de la poésie). Bien que maladroite cette tribune aura permis le dévoilement d’un monde littéraire et journalistique dominant et méprisant pour les Travailleurs et Travailleuses du texte que nous sommes (j’adore ce terme !). Et in fine le dysfonctionnement d’une association qui œuvrait surtout pour la communication d’elle-même et le bien-être de sa directrice.
Il y aura de quoi m’énerver encore dans mes écrits que je vive en appartement, en cabane, en fourgon ou en maison !
Donc j’habite maintenant dans une baraque au fin fond de la Creuse du sud. Mon Chéri est retourné dans l’atelier de Van Road Evasion, Xavier et son équipe vont lui refaire une beauté et il sera vendu au printemps. Cela me vrille le ventre et le cœur mais j’ai fait un choix. Ce choix m’étonne parfois mais il est un fait.
Je ne sais pas si cette nouvelle façon de vivre donnera lieu à des chroniques, sûrement, car c’est une routine que j’aime bien. Et surtout, le singulier village où je vis maintenant, mérite qu’on s’y arrête et j’ai déjà quelques portraits en perspective. Il y a ici des personnes très engagées sur le plan de l’écologie, de la solidarité citoyenne et aussi de la débrouille.
Ainsi je pense à cette jeune femme graphiste contrainte d’accepter des petits boulots de survie qui m’a avoué lors d’une discussion : « Jusqu’à présent je vivais modestement, je me débrouillais pas mal car on peut vivre avec peu ici. Mais depuis quelques mois, j’ai descendu une marche. Une marche terrible car maintenant je suis précaire. Il n’y a plus de marches à descendre. Plus bas, c’est l’abîme. »
Une parole percutante car si je reste désespérément optimiste, je suis très consciente que les classes moyennes et ouvrières se fragilisent. Consciente de la puissance d’un droite extrême aux manettes de nombreux médias et des grandes entreprises, que cette droite n’est pas celle du RN mais qu’elle vient s’y ajouter. Il se fabrique un monde qui a peur, et cette peur-là est un formidable levier pour ceux et celles qui veulent le suprême pouvoir.
Alors disons qu’ici en Creuse, dans ce petit village, je reprends courage et je me sens moins seule. J’ai le sentiment d’habiter dans un lieu qui est déjà (en partie) entré en résistance. Je n’ai plus peur.