Mon Chéri on the road – 9

Il y aura eu un ordinateur foutu qui m’a laissée sans outil de travail pendant près de dix jours. Il y aura eu une bouteille thermos mal fermée qui s’écoula sur matelas, manteau et pantalons. Il y aura eu une douleur dorsale déprimante et aucun médecin acceptant de me prendre en consultation. Après plusieurs jours, enfin, un médecin du sport a redressé la situation. Nomadisme et médecine ne font pas bon ménage. Il y aura eu une balade en vélo le long du canal de Brest à Nantes avec le copain Jépé qui me trouva fort élégante dans ma manière de pédaler et j’ai accepté le compliment. Il y aura eu le camarade poète Bernard Bretonnière avec qui j’ai échangé quelques bons et mauvais souvenirs liés à notre métier d’écrivain tout en mangeant des gaufres à la crème fouettée vers l’écluse de la Martinière.  Il y aura eu l’île aux Pies et le réveil matinal à marcher à travers la forêt, le long de la falaise en pensant à ce qui devrait, pourrait s’écrire. Il y aura eu la conversation avec Lola, jeune femme qui vit en fourgon avec sa chienne Ama et comment elle chauffe difficilement ce fourgon avec un petit poêle à bois, les matins froids qui n’aident pas à quitter le lit et pourtant elle ne se voit pas vivre autrement. Il y aura eu Redon et le café pris avec Gwenola Furic, professionnelle en restauration et conservation de photographies. Elle m’a parlé de l’écriture qui l’aide à penser la photo et moi, de la photo qui m’aide à penser l’écriture. Il y aura eu la balade dans la ville au charme indéniable malgré le trop de voitures puis une soirée cinéma à regarder Les Harkis de l’impeccable Philippe Faucon. Il y aura eu le texte écrit en contre-champ du travail photographique de Valérie Couteron sur la fonderie AB à Saint Genis-Laval pour le musée Gadagne. Il y aura eu du vent, du soleil, de la pluie, de la boue et la lecture de Sur la route de Jack Kerouac arrêtée vers la page 80, ne supportant plus la misogynie du personnage. Il y aura eu un jour d’inquiétude pour la santé de l’une de mes filles. Filles qui même devenues grandes restent mes bébés. Il y aura eu Xavier l’aménageur de mon fourgon toujours disponible pour répondre à mes inquiétudes ou résoudre un problème souvent dû à mes méconnaissances techniques. Il y aura eu un aller-retour à Lyon et ma certitude que je n’ai plus envie de vivre dans cette ville. Il y aura eu la traversée de la Loire en bac de Pèlerin à Couëron et moi excitée comme une gamine par cette traversée. Il y aura eu des prix littéraires donnés et la certitude que cela n’a rien à voir avec la littérature qu’on aime et le sens qu’on lui donne, puis s’avouer être un peu jalouse. Il y aura eu des ami.es qui facilitent la vie en vous ouvrant la porte. Il y aura eu quatre mois déjà à vivre en écrivaine nomade même si bientôt une résidence d’écriture à Segré-en-Anjou bleue rendra la vie plus sédentaire. Il y aura eu les carnets où je couds, brode, traverse et troue les pages. Il y aura eu la soupe jetée sur des œuvres à l’abri derrière des vitres et je suis certaine que Van Gogh jetterait de la soupe à tous ceux et celles qui vendent tasses, serviettes ou cravates à son effigie. Il y aura eu du temps qui passe et moi qui avance. Il y aura eu le monde qui grince des dents et ne m’empêchera pas de sourire.