Mon Chéri on the road 4 – Arrêt à Oradour sur Glane où 643 personnes (hommes, femmes, enfants) ont été massacrées le 10 juin 1944 par les soldats de la division Waffen SS das Reich. Mais c’est dans la commune d’à côté, celle des vivants, (re)construite à la fin de la guerre que je prends mon temps. Je visiterai le village martyr demain. En attendant je marche dans les rues et je me souviens qu’il y a plus de 20 ans, j’étais venue ici pour un projet d’écriture qui ne s’est pas concrétisé. J’avais interviewé un homme dont la famille avait été massacré mais lui survivant parce donné à garder dans le village d’à côté. Se consacrer à la mémoire du lieu était une obsession pour lui. Quelque chose de terriblement triste dans sa voix, dans les traits de son visage. Je me souviens d’avoir écrit : Comment le délivrer ? A l’époque la ville des vivants n’affichait pas de noms de rue seulement des numéros et seuls le blanc et le gris étaient tolérés pour les façades de maison. Depuis la ville a un peu évolué, quelques couleurs aux volets, des fleurs aux fenêtres, rien d’ostentatoire. Commune (pour) toujours en deuil. Je gare le fourgon dans la rue principale. Je veux dormir là. J’ai besoin de dormir là. Je me fais discrète. Dès 22 heures plus un bruit dans la rue et ma nuit sera agitée par des cauchemars avec pleurs d’enfants. Nuit éprouvante. Je retrouve mon calme au lever du jour. Imaginaires ou pas, les fantômes sont de difficiles compagnons. Au PMU de la rue, je vais boire ma dose de café, le temps d’écrire mes notes du jour. J’aimerais demander à celles et ceux présents dans le bar ce que signifie pour eux de vivre ici, à côté du tombeau ? Il pleut doucement. Je suis la première et unique visiteuse du Centre de mémoire et cela me convient bien. Je marche en silence au milieu des ruines, de la ferraille rouillée, des carcasses de voitures et de quelques objets du passé. Déjà il y a vingt ans, des questions se posaient : conserver tel quel ? Réparer ? Laisser s’abimer les traces ? Mémoire vivante ou mémoire figée ? Et ne soyons pas dupes, le village martyr est devenu la renommée de la ville. Des panneaux imposent un Recueillez-vous qui m’agace, mais j’imagine que certains visiteurs doivent mal se comporter. La pluie est fine, l’émotion pesante. Je prends quelques photos. Un groupe de retraité.es s’impose dans l’une des rues. Leurs bavardages sont de trop. Je quitte les lieux et retourne dans la ville des vivants et des vivantes. Mon fourgon étant garé devant l’épicerie bio et produits locaux, j’entre faire quelques courses. La présence de cette épicerie est comme un respiration. Élisabeth, née à Oradour, et Laurent l’ont ouverte fin 2019, à quelques semaines du confinement. Lui, entre deux clients, souligne que le poids passé un peu trop prégnant. Une ville qui n’élève jamais la voix. Ils n’habitent pas sur place et je pense : heureusement. Dans le magasin, il y a du monde et ça papote allègrement. Je repars lestée de quelques provisions puis reprends le volant. Mon Chéri tourne bien et j’ai trouvé par Home Camper un endroit où me poser. Un superbe bord d’étang du côté de Cieux. Par un SMS j’apprends la mort de Bruno Pin, voisin de péniche et créateur de la revue lyonnaise 491 à laquelle j’ai collaboré. Comme voisin, voisine nous échangions livres, CD et enfants. Une belle amitié entre nos deux familles. Souvenirs de soirées dansantes et bien arrosées. Nous étions jeunes. Il était un infatigable travailleur et créatif au tempérament vif. Je pense à la soudaine solitude de sa compagne Fred. Tristesse. Conduire me fait du bien. J’écoute en boucle Les filles du bord de mer chanté par Arno. Un morceau qui s’imposait à chacune des fêtes et nous dansions frénétiquement. Nous frottons les uns aux autres pour sentir le vivant de nos corps ! Vivant ! Et je chante pour qu’éclate la bulle grisailleuse de la journée : C’était chouette les filles du bord de mer Tsoin. Tsoin. Tsoin !!!
Mon Chéri on the road – 4
