Mon Chéri on the road – 15

La Fête de la poésie jeunesse est finie et la phrase qui me vient est : Je suis repue de poésie, d’enfance et d’amitié. Repue, oui, car j’ai toujours eu faim de cela. Ma première destination sera le Chemin des dames, pas très loin dans l’Aisne. Est-ce d’avoir eu des parents qui ont vécu la deuxième guerre mondiale, dont ma mère du côté allemand, qui me pousse vers ces lieux ? Je m’arrête dans un cimetière militaire traversé par un froid terrible. Je me sens mal. Aujourd’hui j’ai besoin de me tenir du côté des vivants. Je reprends le volant, direction le Calvados et vers ma première nuit à moins quatre.
Dieppe. Je gare le fourgon et profite de l’immense plage de galets. Il y a du soleil, des gens, l’océan et un ciel sans nuages. Je photographie. Je m’assoie. Je respire. Vers le port, je rentre dans un bar alors que je n’ai aucunement soif. Il m’a aimantée. Serait-ce le bar où à l’âge de dix-sept ans avec mon amie Corinne, nous étions entrées pour nous réchauffer après une nuit d’insomnie dans une sinistre grange ? Nous venions de quitter nos familles respectives pour voyager, et surtout s’inventer un avenir autre que celui prédit par nos origines sociales et un cursus en bac pro-commerce. Rangées dans un rucksak particulièrement douloureux pour le dos quelques affaires. Et, en nous, un insolent désir de vivre. Nous étions un étonnement pour les clients du bar qui sirotaient des alcools forts malgré l’heure matinal. Devant nous un café et la carte de France dépliée. Nous ne savions pas – forcément – que notre journée se finirait à Étretat dans une fête organisée par des jeunes qui deviendraient plus tard des ami.es.
Me voilà donc, assise à l’endroit où m’a vie a pris une vitale bifurcation. Je me renseigne auprès du patron qui confirme que le bar existait déjà dans les années 70. Il précise que la déco n’a pas changé depuis.
Est-ce bien le même bar ? Qu’importe. Dieppe aura bien été le début d’une vie choisie.
Le lendemain, je m’installe quelques jours à Bayeux pour voir la célèbre tapisserie dont je suis curieuse depuis longtemps. Neuf siècles nous séparent. Bayeux m’offre aussi la possibilité de travailler au chaud dans sa formidable médiathèque qui va jusqu’à fournir plaids et coussins pour les amateurs de sieste. Pour la nomade que je suis, les médiathèques offrent un confortable cadre de travail, des toilettes propres et l’accès à de l’eau potable sans que jamais la question de ce que vous faites là ? ne soit posée. En face de la médiathèque dite des 7 lieux, en hommage aux fameuses bottes, un cimetière militaire comme il y en existe de nombreux dans la région. Je marche au milieu des stèles du carré de la Britsh Army et lis à voix haute quelques noms et l’âge du mort, cela va de 19 à 35 ans. Dans le carré allemand, je découvre de nombreuses stèles où le mort a à peine 17 ans. 17 ans, l’âge où je partais en stop pour Dieppe. L’âge où la vie s’annonçait comme une belle aventure. L’âge où eux sont morts, sacrifiés par des idéologues, qui savaient pourtant la victoire perdue d’avance (et combien même).
Le soleil décline derrière les cyprès, il fait froid à nouveau. Je rejoins mon fourgon et je pense aux Ukrainien.es, je pense aux Russes, je pense aux Syrien.es, je pense aux Afghanes puis j’arrête ma liste.