Mady

C’est une voix qui m’interpelle de l’autre côté de la route alors que je regarde une très belle bâtisse à l’abandon : Elle n’est pas à vendre. Malheureusement ! Nous échangeons quelques phrases et je traverse la route qui est trop bruyante pour s’entendre correctement. Elle a quatre-vingt ans et c’est de la mort de son mari qu’elle me parle en premier, il y a quarante ans. Le mari camionneur. Puis très vite, elle m’invite à venir voir ses broderies au point de Sarrasin dit aussi point d’Aubusson. Je rentre dans sa maison parfaitement rangée et chargée de souvenirs et d’objets. On voudrait tout regarder de près. Des photos du fils et des petit-enfants sur un meuble du salon.
Installée dans son fauteuil, elle commente chaque broderie essentiellement des marques pages (vendus à la Cité International de la tapisserie) et des carrés de tissus. Parfois elle s’essaie au patchwork. Le point de Sarrasin est exigeant car minutieux et lent. Seulement une dizaine de personnes le maîtriseraient correctement – une association veille d’ailleurs à sa transmission. Mady a toujours vécu à Aubusson, elle a tenu un magasin de dessous féminins : Frou-Frou.
Je prends ses broderies en photo mais elle ne veut pas être sur l’image : J’ai toujours l’air triste. Triste, elle ne l’est pas et parle avec une voix alerte, un brin malicieuse. Malgré les difficultés à marcher, elle m’emmène dans son garage où attendent des trésors en bocaux : confitures à la myrtille, à l’abricot, à la prune et je repars avec un pot de confiture à la groseille qui sera exactement comme j’aime, pas trop sucré, fruité et légèrement acidulé.
Un jour Mady me téléphonera pour me remercier d’avoir parlé d’elle dans ma chronique. Elle va bien et me promet un pot de confiture à la myrtille si je repasse à Aubusson. Son coup de fille donne du sens à cette série de portraits et pas de doute, qu’un jour, je viendrais chercher mon pot de confiture.