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La trace bleue

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  • Mon chéri on ther road – 17

    Pour faciliter mes trajets vers Paris et la Seine-et-Marne, j’ai posé le fourgon à Saint-Nazaire où la gare est bien desservie. Et malgré les grèves, j’ai réussi à me rendre à Chelles, Lagny, Paris, Vaux-le-Pénil, Melun pour des rencontres organisées par la Maison des écrivains et de la littérature dans le cadre du Prix des lycéens. Fatigantes, stimulantes, nécessaires. De ces rencontres une élève en classe Tassp (accompagnement, service et soins à la personne) dira la force et la confiance qu’elle y a puisé. Ces mots donnent sens à mon travail et balaie les doutes. Tant pis si une partie du monde littéraire ne s’intéresse pas à mes écrits. Des jeunes s’en emparent et c’est joyeux.
    Après avoir couru après RER, TER et autres TGV, je rentre fourbue et me pose chez une amie avant de reprendre le volant. Je n’irai pas très loin car les grands axes sont occupés ainsi que les raffineries de Donges. Le monde du travail est en colère – ah bon ? Alors en cette période de refus, de barrage contre le mépris et l’impossibilité de mettre du carburant dans Mon Chéri, je me pose ça et là dans la ville afin de la connaitre mieux. Les emplacements ne manquent pas et de partout j’entends les mouettes.
    Aujourd’hui, je me suis arrêtée vers le parc paysager et la piscine (le maillot est prêt). Je vais photographier les alentours puis retourne dans le fourgon pour écrire, lire et me tenir au courant des événements, y participer éventuellement. Rester ici me va car j’aime cette ville et c’est ici que je me sédentariserai un jour. Décision prise un soir où une amie organisait un pot de départ au café Sous les palmiers. L’océan se laissait voir par les vitres, les gens présents étaient chaleureux, joyeux et drôles. Gens de tous les âges et de tous les milieux (il me semble). Les discussions étaient fluides et cela dansait vers la sono. J’ai regardé le lieu avec le recul d’une photographe cherchant le bon cadre puis j’ai pensé : Oui, je fais partie de cette ville. Ville découverte, il y a 6 ou 7 ans, le temps d’une résidence organisée par le CCP sur le thème du travail en horaires décalés qui m’avait permis de rencontrer ouvriers, intérimaires, femmes de ménage, tourneurs, soudeurs, etc. Un livre en découlera : 44 Brèves de Saint-Nazaire.
    Aujourd’hui le vent agite le ciel et les arbres. Le soleil hésite, lumières changeantes. Le front de mer attire les touristes et les nouveaux habitants. Les chantiers, les usines, les silos calment l’ardeur des investisseurs immobiliers, préservant la mixité sociale dont la ville tire un dynamisme singulier. Saint-Nazaire pas toujours séduisante et certains vont jusqu’à la qualifier de laide, alors je chantonne avec Delphine Coutant des paroles que je fais mienne :

    Comment peux-tu dire de ma ville qu’elle est laide ?

    Quand elle se dresse fière face à l’Océan

    Quand dans ses artères peut circuler le vent

    La nomade que je suis, a trouvé son port d’attache et je mesure, subitement, toute la force de cette expression.


  • Mon Chéri on the road – 16

    Lanildut dans le Finistère, pays d’Iroise – Mon fourgon posé sur le terrain d’une famille qui retape une ancienne bâtisse. Héritage qui occupe. Préoccupe. Les enfants fréquentent une école Diwan, le drapeau breton flotte sur le jardin et toute la famille est soucieuse de mon bien-être. Électricité, toilettes et douche chaude à disposition. Les enfants s’invitent parfois dans le fourgon et, à la lumière d’une bougie, je leur lis de la poésie. Ils me récompensent avec des dessins de licornes. Commerces et chemin côtier sont accessibles à pied.
    J’aime prononcer ce nom de Lanildut qui vient du breton et du gallois : Ermitage. Langue étrangère à mes racines qui puisent dans les langues celtiques et indo-européennes. Pays catholique, pays des abers, pays qui m’est délicieusement étranger. Le matin, j’écris puis je pars pour de longues balades sur le GR 35. Décor qui change plusieurs fois par jour selon la position du soleil, les marées, la pluie et l’humeur du vent. Je ne m’en lasse pas. Devant les 11 mètres carrés d’un ruskos qui fut maison de guet au 18 ème siècle et actuellement propriété de l’artiste Jean-Luc Salmon, je rêve : Deux fois plus grand que mon fourgon !
    Parfois, je m’offre une boisson chaude au bar, restaurant, librairie Le Chenal et repars lestée de livres sur le voyage, dont Un squat sur un plateau qui narre et analyse l’incroyable expérience d’un squat dans l’ancien collège Maurice Scève à Lyon qui accueillit jusqu’à 400 jeunes mineurs-migrants grâce à un fonctionnement autogestionnaire improbable et pourtant efficace. J’avais participé à quelques événements là-bas et mon étonnement devant cette folle expérience. Au Chenal, je suis bien. Ceux et celles d’ici trouvent que c’est un repaire à touristes. Personnellement j’y trouve un lieu apaisant et accueillant.
    Un jour de grand vent j’ai croisé sur le chemin un curé en soutane, bel homme d’une cinquantaine d’années, qui retenait difficilement, face aux assauts de la bourrasque, les pans de son ancestral vêtement. J’ai eu quelques mauvaises pensées, puis me sont revenues des images, un peu plus austères, du film de Maurice Pialat : Sous le soleil de Satan.
    Mes nuits sont agitées : coup de vent, pluie et pas mal de froidure. Électricité capricieuse. Les matins sont une résurrection.
    Profitant d’un covoiturage j’ai visité Brest un jour de grisaille et de très grand froid. Brest liée à mon frère Claude qui s’était engagé dans la Marine nationale pour trois ans, puis habita quelques temps la ville. Il nous envoyait des lettres bien écrites et drôles, à nous sa famille restée en Lorraine. L’adolescente que j’étais, puisa dans cette ailleurs la force de partir un jour. A Brest, j’ai longé le port pour finir dans une sinistre impasse. J’ai traversé le centre-ville à l’architecture typique des villes détruites par la guerre, si propice aux courants d’air, j’ai poursuivi jusqu’au quartier Saint-Martin dont les façades de maison osent des couleurs franches et vivifiantes. En moi a résonné la chanson de Miossec :

    Tonnerre, tonnerre, tonnerre de Brest
    Mais nom de Dieu, que la pluie cesse

    Le lendemain, sur le chemin côtier, une femme engoncée dans une doudoune protectrice, prononce mon prénom. En face de moi Pauline Guillerm qui a été stagiaire d’une formation que j’ai animée pendant de plusieurs années au Crefad de Lyon. Maintenant, elle écrit du théâtre, met en scène ses textes et mène un joli chemin en écriture. Nous partageons un verre au Chenal. Deux grandes bavardes qui tentent de résumer leur parcours de vie, cela donne un peu le tournis.
    Presque chaque matin, dans la fraicheur du fourgon aux vitres givrées, pendant que l’eau bout et réchauffe l’espace, mes pensées me ramènent au peuple ukrainien qui connaît le froid désespérant de la météo et, aussi, de la destruction et de la peur. Pays si proche et pourtant l’Europe bien timorée. Comme toujours les alliés réactifs seulement quand l’intégrité de leur propre pays est en jeu. Toujours trop tard car le drapeau de la liberté sera hissé sur une montagne de cadavres. C’est la jeunesse qui meurt en Ukraine pendant qu’en France l’inflation engraisse les puissants.
    Je retourne sur le chemin côtier. Le vent roule les vagues, emporte les oiseaux. La lumière est fabuleuse. Je ne sais plus rien penser du genre humain dont je fais pourtant partie : `

    En moi n’ai ni venin ni fiel :
    ne me reste rien sous le ciel,
    tout passe et va.
    Rutebeuf



  • Mon Chéri on the road – 15

    La Fête de la poésie jeunesse est finie et la phrase qui me vient est : Je suis repue de poésie, d’enfance et d’amitié. Repue, oui, car j’ai toujours eu faim de cela. Ma première destination sera le Chemin des dames, pas très loin dans l’Aisne. Est-ce d’avoir eu des parents qui ont vécu la deuxième guerre mondiale, dont ma mère du côté allemand, qui me pousse vers ces lieux ? Je m’arrête dans un cimetière militaire traversé par un froid terrible. Je me sens mal. Aujourd’hui j’ai besoin de me tenir du côté des vivants. Je reprends le volant, direction le Calvados et vers ma première nuit à moins quatre.
    Dieppe. Je gare le fourgon et profite de l’immense plage de galets. Il y a du soleil, des gens, l’océan et un ciel sans nuages. Je photographie. Je m’assoie. Je respire. Vers le port, je rentre dans un bar alors que je n’ai aucunement soif. Il m’a aimantée. Serait-ce le bar où à l’âge de dix-sept ans avec mon amie Corinne, nous étions entrées pour nous réchauffer après une nuit d’insomnie dans une sinistre grange ? Nous venions de quitter nos familles respectives pour voyager, et surtout s’inventer un avenir autre que celui prédit par nos origines sociales et un cursus en bac pro-commerce. Rangées dans un rucksak particulièrement douloureux pour le dos quelques affaires. Et, en nous, un insolent désir de vivre. Nous étions un étonnement pour les clients du bar qui sirotaient des alcools forts malgré l’heure matinal. Devant nous un café et la carte de France dépliée. Nous ne savions pas – forcément – que notre journée se finirait à Étretat dans une fête organisée par des jeunes qui deviendraient plus tard des ami.es.
    Me voilà donc, assise à l’endroit où m’a vie a pris une vitale bifurcation. Je me renseigne auprès du patron qui confirme que le bar existait déjà dans les années 70. Il précise que la déco n’a pas changé depuis.
    Est-ce bien le même bar ? Qu’importe. Dieppe aura bien été le début d’une vie choisie.
    Le lendemain, je m’installe quelques jours à Bayeux pour voir la célèbre tapisserie dont je suis curieuse depuis longtemps. Neuf siècles nous séparent. Bayeux m’offre aussi la possibilité de travailler au chaud dans sa formidable médiathèque qui va jusqu’à fournir plaids et coussins pour les amateurs de sieste. Pour la nomade que je suis, les médiathèques offrent un confortable cadre de travail, des toilettes propres et l’accès à de l’eau potable sans que jamais la question de ce que vous faites là ? ne soit posée. En face de la médiathèque dite des 7 lieux, en hommage aux fameuses bottes, un cimetière militaire comme il y en existe de nombreux dans la région. Je marche au milieu des stèles du carré de la Britsh Army et lis à voix haute quelques noms et l’âge du mort, cela va de 19 à 35 ans. Dans le carré allemand, je découvre de nombreuses stèles où le mort a à peine 17 ans. 17 ans, l’âge où je partais en stop pour Dieppe. L’âge où la vie s’annonçait comme une belle aventure. L’âge où eux sont morts, sacrifiés par des idéologues, qui savaient pourtant la victoire perdue d’avance (et combien même).
    Le soleil décline derrière les cyprès, il fait froid à nouveau. Je rejoins mon fourgon et je pense aux Ukrainien.es, je pense aux Russes, je pense aux Syrien.es, je pense aux Afghanes puis j’arrête ma liste.


  • Mon Chéri on the road – 14

    Trois jours pour rejoindre Tinqueux-Reims, en partance d’Angers. J’aurai traversé le Maine et Loire, l’Indre et Loire, le Loire et Cher, un bout de l’Aube puis la Seine et Marne et enfin la Marne. Des vastes étendues à l’horizon net, terres agricoles avec un nombre incalculable de villages, communes souvent sans commerces et encore moins de bar (je ne prends jamais l’autoroute). J’aurai dormi sur un parking à Chenonceau pour visiter tôt le matin le château où l’on peut croiser les fantômes de la reine Catherine de Médicis, Diane de Poitiers et surtout la philosophe, injustement ignorée, Louise Dupin qui écrivit Défendre l’égalité des sexes en 1750, avec Jean-Jacques Rousseau comme secrétaire. Arrière grand-mère par alliance de Georges Sand. Puis j’aurai casse-croûté à Saint Laurent-Nouan, posée à quelques centaines de mètres de la centrale nucléaire, au milieu de petites maisons individuelles, construites sous les lignes à haute-tension d’EDF. Mon étonnement : le prix à payer pour accéder à une maison quand on est modeste en moyens ou une vraie absence de craintes ? Je prends quelques photos. Puis je poserai le fourgon au bord du Cher à Pont-sur-Yonne où je vais boire un café dans un bar où tout le monde est très sympa avec moi. Je m’y sens bien malgré la télé grand écran, l’odeur de tabac, alors que personne ne fume, et le gars au comptoir qui avale café sur café en demandant à celui qui entre (sauf à moi) : Alors t’as gratté aujourd’hui ? Je passe une bonne nuit puis achète, sur le marché, un fromage local aux piments d’Espelette à une jeune maraichère bavarde et curieuse.
    Je conduis en essayant de décontracter mes épaules, sinon je ça va se bloquer à nouveau. Je m’enfonce dans la plaine avec l’envie de m’arrêter toutes les dix minutes pour prendre une photo, visiter un cimetière dont celui, minuscule, perdu entre champs de betteraves et terres retournées à Ouinotte. M’attarder aussi devant une bâtisse, un château, un manoir, puis une cimenterie, un silo géant … curieuse de tout. Je me réfrène. Le paysage défile et je pense à l’équipe de la médiathèque de Segré que j’ai quittée à regret. Fin de résidence. Tant de choses vécues ensemble. Difficile à résumer. Une chouette équipe en tout cas, et, chose rare, une maire et une adjointe à la culture très impliquée et présente à chacune de mes lectures. Cette résidence sera également le souvenir de mon premier embourbement en fourgon qui m’a permis d’évaluer ma capacité à rester sereine. Comme il était tard, je me suis dit : Demain apportera sa solution . Et j’ai dormi là. Le lendemain, la solution se prénommait Francesca, Flop et René, ce dernier outillé en traverses et sangles. Un de ces gars, qui dans les années 70, partaient en Afrique à bord d’une Peugeot break pour la revendre sur place et se rembourser ainsi le voyage (parfois). Alors les embourbements, il connait. Il y aura eu enfin, une femme médecin qui accepta de me prendre en consultation, comprit ma situation de nomade, prit son temps, m’ausculta avec délicatesse, me fournit ordonnances en prévision de, me considérant comme une adulte responsable. Consciente des difficultés pour obtenir un rendez-vous quand on n’est pas chez soi, surtout quand chez soi est un peu partout. Je pense aussi à la discussion avec Yolande Moreau, à L’année de la Caboulotte qui va sortir début mars, à Teddy qui a écrit un texte déchirant en atelier et, et, et … Je pense à tout cela en conduisant et écoutant, en boucle West Universe du tout récent duo Djégo.
    Je pars rejoindre l’équipe du Centre de Créations pour l’Enfance où nous fêterons ensemble la Poésie Jeunesse. Il y aura Mateja, Pierre, Claire, Mathilde, Brigitte, Carl, Albane, Jean, Bernard… Des ami.es, des collègues, des copains. Le programme est à consulter ici
    Je me redis comme souvent : le bonheur c’est quand rien ne vous manque. Et bien aujourd’hui, rien ne manque.


  • Mon Chéri on the road – 13

    Fêtes de fin d’année à Lyon en famille et avec les ami.es. Se retrouver, se raconter et aller au cinéma car j’apprécie de voir un film sur un écran qui m’oblige à lever le nez. Quelques pépites. Le premier jour de l’année, je me suis levée très tôt pour me rendre au parc de la Tête d’or qui ce jour-là, à cette heure matinale, est peu fréquenté. Quelques runners s’activent – à quel moment n’ont-ils plus été des joggers ? Avant même d’être abstinente, je me suis toujours refusée de démarrer l’année par une gueule de bois pour tenir à distance les mauvais présages, à chacun ses petites croyances. Depuis plus de 20 ans, le 1er janvier je me lève tôt et pars saluer un bout de nature. Au parc de la Tête d’or, tant d’arbres superbes, étonnants et ce matin-là, une oie est venue me saluer dignement. Je présume qu’elle attendait quelques bouts de pain, mais je préfère y voir un geste de générosité de sa part. Furieusement optimiste, je le répète. Tout en marchant, je liste les nouveautés et les changements souhaités pour l’année à venir. Une liste raisonnable pour qu’elle soit réalisable.
    Puis retour à Segré-en-Anjou bleu, après quatre heures de train, une heure de bus et un quart d’heure à pied, ma valise à roulettes aux basques, je retrouve Mon Chéri sur le parking de la médiathèque qui accueille ma résidence. L’émotion qui me saisit ne m’étonne pas vraiment. Il est là. Il est intact et il m’attend. Alors je le salue et pose ma main contre sa carrosserie comme une caresse que je n’oserais pas donner. Quelques photos. Joie supplémentaire, il démarre au quart de tour. Je tapote le volant et le remercie de m’être fidèle. Musique à fond, je ne connais pas de meilleur endroit pour écouter de la musique que l’intérieur d’une voiture. Come take me de Betty Davis qui me met facilement en transe. De son bref mariage avec Miles Davis, elle garda le nom, pas la notoriété. Conduisant mon fourgon, je suis consciente de me servir d’un dinosaure de nos futurs moyens de locomotion : moteur thermique au diesel. Je déculpabilise en réalisant que j’ai respecté le deal, sauf fin août, d’un plein par mois maximum. Et globalement, je consomme moins qu’à l’époque de ma vie dans un village savoyard où je me déplaçais en voiture tous les jours. Par le pare-brise, je retrouve le paysage segréen avec ses étangs, ses bocages, ses arbres têtards et les nombreux et quelque peu déprimants distributeurs de baguettes. Je roule et me reconnecte avec mes prochains ateliers d’écriture, il y aura une classe Bac pro électro, une classe en IME, un groupe de primo-arrivants et le groupe d’adultes du samedi. Je pense aux nombreux camarades écrivains, écrivaines qui vont ainsi de lieux en lieux, animer un temps pour renouer avec l’écriture, la littérature. Gagne-pain oui mais aussi un engagement politique et social. La plupart d’ailleurs sont issus de milieu populaires. Ils et elles savent ce qu’ils doivent aux livres lus. Et quand j’ai des échos de leurs ateliers, je constate que l’exigence est là. Pas d’ateliers occupationnels mais de l’engagement.
    Panneau du musée de la Mine bleue et me voilà rendue. L’ardoise fut longtemps exploitée dans la région et on trouve nombre de friches et dans les villages les si reconnaissables alignements de maisons ouvrières. Misengrain – Je klaxonne mon arrivée même si personne ne m’attend. Vivre seule nous rend sensible à d’autres présences.


  • Mon Chéri on the road – 12

    Pare-brise gelé. Bel effet matinal vu de l’intérieur du fourgon. Heureusement, j’ai avec moi un grattoir d’une grande efficacité. Il m’a été offert à la clôture d’une résidence d’écriture dans le Jura, vers St Claude. Nous étions en janvier et il fallait gratter et parfois aussi pelleter la neige. Les températures en-dessous de zéro sont courantes dans les montagnes jurassiennes. On s’habitue. Tout est une histoire d’équipement adapté. Donc un bon grattoir car même en Anjou, il peut faire froid.
    Si en semaine je dors au chaud dans l’appartement mis à disposition par la ville, le week-end je pars dans les environs me balader en fourgon et j’y dors. Je m’adapte. Je m’équipe. Laine aux pieds, aux mains et sur la tête pour une bonne répartition de la chaleur. Dormir dans le fourgon, j’en ai besoin même si le réveil peut parfois être brutal, quand une voix à l’extérieur gueule régulièrement avec une virile énergie : Ta gueule ! Mais ta gueule !
    J’ai mis un moment à comprendre qu’un chasseur dialoguait avec son chien. Comme il faisait bien froid, je suis restée sous la couette à poursuivre la lecture de Voyage avec Charley écrit en 1960 par John Steinbeck. Récit d’un périple en camping-car à travers les États-Unis en compagnie d’un caniche royal de belle stature. Livre intéressant même si Steinbeck ressent, étonnamment, le besoin de dormir souvent à l’hôtel ou se lance dans l’éloge d’ustensiles jetables en aluminium : couverts, assiettes et aussi poêles à frire. Le tout à usage unique. Autre époque.
    Parfois, j’ai envisagé la présence d’un chien même si ceux qui aboient derrière les portails, murets, palissades, portes me vrillent les ovaires à vous gâcher l’usage des chemins vicinaux. J’aime les chiens pas ce que les humains en font.
    Je rêvais d’un dogue argentin parce le molosse dissimule un caractère affectueux, tolérant et surtout peu aboyeur. Sauf qu’un chien vous impose son rythme de vie et l’enfermer dans le fourgon pour aller au musée ou à la piscine ce n’est pas très sympa pour lui. Alors pas de chien.
    Une poule pourrait me tenter comme le navigateur Guéric parti sur les océans avec sa poule Monique ou la poule Chépa embarquée par Félix dans un étrange vélo-canoé . Le documentaire assez truculent de cette expérience est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=4_nDsGYrxdc.
    Bref on a parfois besoin de compagnie et une poule, ben ça vous pond des œufs – frais !


  • Mon Chéri on the road – 11

    J’écris cette chronique installée sous la couette, à l’abri dans mon fourgon. Dehors la nuit. A peine 19h. Chaussettes en laine d’alpaga aux pieds. Je suis posée à Blaison-Gohier au sud-est d’Angers en prévision d’une balade dans le environs – 5h de marche – pour demain. Traversée de coteaux, forêts, hameaux et je devrais éviter la pluie.
    Avant que la nuit ne me contraigne au repli, j’ai visité le village qui compte de bien belles demeures, manoirs et un château. La contrée fut prospère et le cimetière confirme : une section, séparée du tout-venant par des murets, accueille les dépouilles de la famille de Chemellier composée de comtes, vicomtes et autres baronnes. J’ai vérifié ce nom de famille n’apparait pas dans la liste des sacrifiés de la guerre de 14-18.
    Personne dans les rues, chacun rentré chez soi et je n’allais pas tarder non plus. Quelques feuilles flamboyantes s’accrochaient encore aux branches, des lumières filtraient derrière les volets ou les rideaux, le son d’une télé. Vies intérieures qui contrastent avec ma présence dans les rues et ruelles vides. Je suis traversée par un mélange de mélancolie et de détachement. Un ressenti proche de celui de l’enfance quand je me rendais l’hiver au cours d’équitation proposé par la MJC. La nuit, le froid, l’odeur des bêtes m’enveloppaient. Je découvrais un sentiment nouveau où le présent n’avait plus un goût d’éternité. Aucune angoisse, au contraire. La conscience de ma finitude générait en moi, un grand calme et de la confiance. La lecture du Grand Meaulnes, à la même époque, m’offrait aussi ce sentiment d’un espace temps autre.
    Le froid a pris de l’élan, j’ai fermé ma parka. Il était temps d’aller tirer les rideaux du fourgon, allumer la liseuse et me préparer une soupe.
    Dans le fourgon, je suis chez moi, même si actuellement ma résidence d’écriture à Segré-en-Anjou bleu, m’amène à être logée en appartement. Le camping étant fermé, il n’y avait pas de lieu pour recevoir dignement mon fourgon. Misengrain est le nom du relais qui m’accueille. Les logements ont été aménagés dans d’anciennes maisons de mineurs. On exploitait l’ardoise et le fer dans la région. Le relais est géré par un groupe éducatif et des salarié.es handicapé.es, ils et elle forment un sympathique environnement. Au début, dormir dans une grande chambre me perturbait et dans la nuit, j’ai failli rejoindre Mon Chéri plus d’une fois (Il est garé quasi devant ma porte). Perturbée aussi de limiter mes virées aux week-ends. Je dois admettre, il est l’heure d’hiverner et j’ai pris conscience de cela pendant la traversée solitaire du village. La résidence dure jusqu’en février. Je vais partir à la rencontre de enfants, des habitants et Mon Chéri m’attendra à la porte du garage chaque samedi quand j’aurai fini mon travail. Je ne sais pas comment je vais gérer la suite de ces chroniques. On verra. J’ai le temps. Jusqu’au printemps ce sera, peut-être Mon Chéri en résidence !


  • Mon Chéri on the road – 10

    Activité réduite à l’intérieur du fourgon même si je tiens debout, il est donc essentiel pour moi de profiter au maximum de l’extérieur quelle que soit la météo. Chaque matin, avant d’écrire, je fais ce que j’appelle ma gym. Une suite de mouvements qui viennent puiser dans mes expériences de yoga, Qi Gong, gym douce, méthode Mézières. Aucune contrainte de durée mais jamais moins de 20 minutes et ce, tous les jours. Se détendre, se muscler, soulager les tensions et amplifier ma respiration. Activité que je mène en extérieur même quand il fait froid. Depuis mon départ il y a quatre mois, je n’ai fait ma gym qu’une seule fois dans le fourgon. Un jour de pluie incessante au col de Béal. J’avais réussi à trouver une série de mouvements adaptés au moins de 6 m2 de mon véhicule. Pendant mes exercice je me concentre sur les zones ankylosées, tendues ou franchement douloureuses. Je regarde loin devant pour stimuler mon regard. De retour dans le fourgon, je me prépare un café. L’eau qui bout, réchauffe l’espace efficacement. Puis j’écris.
    J’ai surélevé l’ordinateur avec une boite d’emballage pour qu’il soit un peu plus en face de moi (sinon la nuque ramasse méchamment). Après deux- trois heures d’écriture je pars marcher même s’il pleut. Comme les jours raccourcissent, je profite au maximum de la lumière pour revivifier mes muscles. Si je ne marche pas une à deux heures par jour, les nuits sont moins paisibles. Quand je marche, j’écris dans ma tête. Petite, marchant le long de la Moselle, j’appelais ça me raconter des histoires. Je rêvais d’écrire des chansons. Adolescente quand je passais mes nuits dans le buffet de la gare de Metz au lieu de dormir dans le dortoir du lycée, je racontais avec un certain brio que j’étais la plume de Bernard Lavilliers (j’avais eu la possibilité d’échanger quelques mots avec lui dans sa loge). Lui aussi se racontait des histoires sur son appartenance à la Fensch vallée et le monde ouvrier. Quand je marche, je passe en revue chaque chantier en cours. En ce moment je revisite toutes les chroniques de la caboulotte que La Fosse aux ours va publier au printemps. Exercice difficile de rassembler des chroniques dans un recueil. Je dois retravailler ces textes sans perdre l’aspect l’adresse directe . L’exercice est loin d’être simple. Ne pas tout réécrire. J’ai également en cours un recueil de fragments : Pauvre. Écrire sur la pauvreté sans être mièvre ou méprisante. Le troisième écrit est une pièce de théâtre Battements de pieds en eaux profondes pour que Laurent Brethome va mettre en scène. Bref ça bosse dans le fourgon. Sans l’écriture, ma vie nomade manquerait de sens. Parfois je vais écrire dans un bar ou une médiathèque, pour changer. Ne pas trop m’enfermer dans le cocon du fourgon. Ne pas me couper du monde. Et j’aime le dehors. J’aime rencontrer des gens et dans ce sens, je vais garder trace de certaines rencontres dans une rubrique Portraits de gens dont mon nouveau site (accessible dans une semaine) se fera l’écho. Oui ça bosse dans le fourgon.


  • Mon Chéri on the road – 9

    Il y aura eu un ordinateur foutu qui m’a laissée sans outil de travail pendant près de dix jours. Il y aura eu une bouteille thermos mal fermée qui s’écoula sur matelas, manteau et pantalons. Il y aura eu une douleur dorsale déprimante et aucun médecin acceptant de me prendre en consultation. Après plusieurs jours, enfin, un médecin du sport a redressé la situation. Nomadisme et médecine ne font pas bon ménage. Il y aura eu une balade en vélo le long du canal de Brest à Nantes avec le copain Jépé qui me trouva fort élégante dans ma manière de pédaler et j’ai accepté le compliment. Il y aura eu le camarade poète Bernard Bretonnière avec qui j’ai échangé quelques bons et mauvais souvenirs liés à notre métier d’écrivain tout en mangeant des gaufres à la crème fouettée vers l’écluse de la Martinière.  Il y aura eu l’île aux Pies et le réveil matinal à marcher à travers la forêt, le long de la falaise en pensant à ce qui devrait, pourrait s’écrire. Il y aura eu la conversation avec Lola, jeune femme qui vit en fourgon avec sa chienne Ama et comment elle chauffe difficilement ce fourgon avec un petit poêle à bois, les matins froids qui n’aident pas à quitter le lit et pourtant elle ne se voit pas vivre autrement. Il y aura eu Redon et le café pris avec Gwenola Furic, professionnelle en restauration et conservation de photographies. Elle m’a parlé de l’écriture qui l’aide à penser la photo et moi, de la photo qui m’aide à penser l’écriture. Il y aura eu la balade dans la ville au charme indéniable malgré le trop de voitures puis une soirée cinéma à regarder Les Harkis de l’impeccable Philippe Faucon. Il y aura eu le texte écrit en contre-champ du travail photographique de Valérie Couteron sur la fonderie AB à Saint Genis-Laval pour le musée Gadagne. Il y aura eu du vent, du soleil, de la pluie, de la boue et la lecture de Sur la route de Jack Kerouac arrêtée vers la page 80, ne supportant plus la misogynie du personnage. Il y aura eu un jour d’inquiétude pour la santé de l’une de mes filles. Filles qui même devenues grandes restent mes bébés. Il y aura eu Xavier l’aménageur de mon fourgon toujours disponible pour répondre à mes inquiétudes ou résoudre un problème souvent dû à mes méconnaissances techniques. Il y aura eu un aller-retour à Lyon et ma certitude que je n’ai plus envie de vivre dans cette ville. Il y aura eu la traversée de la Loire en bac de Pèlerin à Couëron et moi excitée comme une gamine par cette traversée. Il y aura eu des prix littéraires donnés et la certitude que cela n’a rien à voir avec la littérature qu’on aime et le sens qu’on lui donne, puis s’avouer être un peu jalouse. Il y aura eu des ami.es qui facilitent la vie en vous ouvrant la porte. Il y aura eu quatre mois déjà à vivre en écrivaine nomade même si bientôt une résidence d’écriture à Segré-en-Anjou bleue rendra la vie plus sédentaire. Il y aura eu les carnets où je couds, brode, traverse et troue les pages. Il y aura eu la soupe jetée sur des œuvres à l’abri derrière des vitres et je suis certaine que Van Gogh jetterait de la soupe à tous ceux et celles qui vendent tasses, serviettes ou cravates à son effigie. Il y aura eu du temps qui passe et moi qui avance. Il y aura eu le monde qui grince des dents et ne m’empêchera pas de sourire.


  • Mon Chéri on the road – 8

    Nomade oui, mais pas encore grande voyageuse, cela viendra. L’écosse en ligne de mire. Je précise cela car parfois la question est posée : Tu vas où ?  T’es où ? Et l’on s’étonne de me voir bouger si peu. Effectivement pas de longues distances depuis le mois de septembre. Du local. J’économise le carburant et A côté c’est déjà loin pour moi. Sur mon téléphone, j’ai installé l’application Park4night qui permet de partager des bons plans entre camping-caristes mais je ne l’utilise pas. Je préfère trouver par moi même en prenant le risque de ne pas trouver justement. Dormir sur un terrain en pente, près d’une route bruyante au matin ou le long d’un camping avec animation nocturne. Comme je bouge le lendemain, rien de traumatisant. Je me sers de mes cartes IGN pour repérer un plan d’eau, un bout de forêt ou un site remarquable. J’évite d’utiliser le GPS sauf quand je ne sais vraiment plus où je suis. La quête d’un lieu où me poser m’excite beaucoup. Laisser faire le hasard et mon intuition. Un nom de commune un peu singulier peut susciter ma curiosité et j’aime  bifurquer à gauche parce que cela me convient mieux que de bifurquer à droite. Ma méthode me réserve le plus souvent des bonnes surprises. Ainsi après avoir pique-niqué au pied d’un superbe château d’eau qui était dans mon champ de vision depuis un bon moment, je me suis laissée faire par une discrète pancarte m’invitant à rejoindre les bords de la Vilaine – Quel nom ! La Vilaine qui est bel et bien un fleuve,  m’a offert un bout de Paradis où j’ai pu échanger avec deux pêcheurs curieux de mon mode de vie. Je leur ai offert le café. On a causé pêche même si je connais surtout la pêche en mer. Jour de soleil, la porte du fourgon était ouverte sur un paysage d’eau, d’arbres et d’oiseaux avec de temps en temps des cyclistes ou des promeneurs pour traverser mon champ de vision comme sur un écran de télévision. Si l’intérieur du fourgon ne change pas, dehors est à chaque fois nouveau. Bien entourée, je me suis mise au travail : finaliser le recueil de textes écrits par l’équipe du CMP – enfance de Givors, débuter le texte qui accompagnera les photos de Virginie Couteron au Musée Gadagne, boucler le sommaire du prochain numéro de Gustave Junior. Bien que nomade, je ne suis pas à la retraite et le montant affiché par le site dédié à cet inévitable moment de ma vie, me convainc qu’un jour vivre dans un fourgon ne sera pas un choix mais peut-être bien une nécessité. L’augmentation du prix des loyers, de l’électricité, du gaz et de la nourriture rétrécissent l’horizon. Je ne m’inquiète pas trop car je sais vivre avec peu. Le livre de Jessica Bruder, Nomadland, sur les conditions de vie de retraité.es américain.es contraints d’habiter dans des campings-cars ou fourgons souvent moins luxueux que le mien, est riche en enseignement. Des plus de soixante ans dont la maison a été saisie, se retrouvent nomades et travailleurs saisonniers. Amazon profite largement de cette manne en main d’œuvre certes plus lente que les jeunes mais plus docile. Le livre approfondit cet aspect de l’exploitation des séniors par rapport au film. Alors j’ai le sentiment de me préparer. Je verrai bien jusqu’où me mènera ce nomadisme, terme que  j’ai imprimé avec une certaine joie sur ma carte de visite : écrivaine nomade. Voilà ce que je suis à un âge où l’on voudrait me contraindre à la marche nordique ou aux croisières culturelles. Le bonheur c’est quand rien ne vous manque et pour l’heure, il ne me manque rien. Du moins rien de matériel. Parce que oui, parfois, j’aimerais bien être occupée par un sentiment amoureux. Heureusement l’amitié est là et je croise nombre de personnes généreuses à mon encontre. Le jour décline, les deux pêcheurs de la Vilaine repartent riches en poissons et oublie de m’en offrir un –  pourtant il était bon mon café. Pas grave. Je vais aller marcher un peu, profiter de la lumière, fatiguer mes muscles et écouter la playlist créée à partir des chansons citées dans le livre d’Yves Charnet, Chutes. Chansons populaires françaises. Pas tous les jours que j’écoute du Serge Lama, surtout au bord de la Vilaine.


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La trace bleue

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