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La trace bleue

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  • Mon Chéri on the road – 7

    Pour faciliter mes trajets vers Paris et la Seine-et-Marne, j’ai posé le fourgon à Saint-Nazaire où la gare est bien desservie. Et malgré les grèves, j’ai réussi à me rendre à Chelles, Lagny, Paris, Vaux-le-Pénil, Melun pour des rencontres organisées par la Maison des écrivains et de la littérature dans le cadre du Prix des lycéens. Fatigantes, stimulantes, nécessaires. De ces rencontres une élève en classe Tassp (accompagnement, service et soins à la personne) dira la force et la confiance qu’elle y a puisé. Ces mots donnent sens à mon travail et balaie les doutes. Tant pis si une partie du monde littéraire ne s’intéresse pas à mes écrits. Des jeunes s’en emparent et c’est joyeux.
    Après avoir couru après RER, TER et autres TGV, je rentre fourbue et me pose chez une amie avant de reprendre le volant. Je n’irai pas très loin car les grands axes sont occupés ainsi que les raffineries de Donges. Le monde du travail est en colère – ah bon ? Alors en cette période de refus, de barrage contre le mépris et l’impossibilité de mettre du carburant dans Mon Chéri, je me pose ça et là dans la ville afin de la connaitre mieux. Les emplacements ne manquent pas et de partout j’entends les mouettes.
    Aujourd’hui, je me suis arrêtée vers le parc paysager et la piscine (le maillot est prêt). Je vais photographier les alentours puis retourne dans le fourgon pour écrire, lire et me tenir au courant des événements, y participer éventuellement. Rester ici me va car j’aime cette ville et c’est ici que je me sédentariserai un jour. Décision prise un soir où une amie organisait un pot de départ au café Sous les palmiers. L’océan se laissait voir par les vitres, les gens présents étaient chaleureux, joyeux et drôles. Gens de tous les âges et de tous les milieux (il me semble). Les discussions étaient fluides et cela dansait vers la sono. J’ai regardé le lieu avec le recul d’une photographe cherchant le bon cadre puis j’ai pensé : Oui, je fais partie de cette ville. Ville découverte, il y a 6 ou 7 ans, le temps d’une résidence organisée par le CCP sur le thème du travail en horaires décalés qui m’avait permis de rencontrer ouvriers, intérimaires, femmes de ménage, tourneurs, soudeurs, etc. Un livre en découlera : 44 Brèves de Saint-Nazaire.
    Aujourd’hui le vent agite le ciel et les arbres. Le soleil hésite, lumières changeantes. Le front de mer attire les touristes et les nouveaux habitants. Les chantiers, les usines, les silos calment l’ardeur des investisseurs immobiliers, préservant la mixité sociale dont la ville tire un dynamisme singulier. Saint-Nazaire pas toujours séduisante et certains vont jusqu’à la qualifier de laide, alors je chantonne avec Delphine Coutant des paroles que je fais mienne :

    Comment peux-tu dire de ma ville qu’elle est laide ?

    Quand elle se dresse fière face à l’Océan

    Quand dans ses artères peut circuler le vent

    La nomade que je suis, a trouvé son port d’attache et je mesure, subitement, toute la force de cette expression.


  • Mon Chéri on the road – 6

    Jour de pluie, crachin permanent ou presque. La gestion des entrées et des sorties du fourgon devient primordiale. Le mouillé, le sable, le gravier, la gadoue doivent rester dehors ainsi que les crottes de chien. Un fil tendu à l’arrière de la banquette passager sert d’étendage. Un cintre est prêt à accueillir veste et coupe-vent. Le tapis de sol reçoit les chaussures trempées. La thermos et la bouillotte sont pleines d’eau chaude. Fourgon-refuge. Lumière terne, j’allume une bougie. Aujourd’hui j’ai le cafard. Hier je me baignai à Treac’h Gouder sur l’île d’Houat. L’eau était à 17° mais tout le paysage semblait m’appartenir (j’en parlerai dans une autre chronique). Aujourd’hui je ne parviens pas à écrire, ni à lire, ni à envisager une quelconque activité.Je déteste être dans cet état. Bouge de là, je bougonne… et je m’écoute. Direction Paimboeuf, rive sud de l’estuaire. J’emprunte le  majestueux pont sur la Loire que je photographie ensuite de la plage de Saint-Brévin. Je reprends le volant en écoutant, sans y entrer, le dernier album de Björk.  Paimboeuf. C’est d’abord un alignement de maisons, collées-serrées, qui accompagnent la courbure du fleuve.  Certaines façades osent des couleurs vives ou d’étonnants collages dont un fabriqué avec des centaines de circuits intégrés numériques. De l’autre côté de la rive s’impose les cheminées, les cuves et  les ateliers de la raffinerie de Donges. Ici est un lieu comme j’aime parcourir, de ceux qui racontent la vie industrielle. La vie laborieuse. On ne peut comprendre un territoire si on se contente que du beau, du touristiquement correct. Je marche d’abord le long du fleuve, m’attarde devant le Café de l’Avenir qui fait preuve d’un bel optimisme avec sa façade recouverte de gazon synthétique. Des panneaux indiquent le centre-ville que je ne trouve jamais. La boulangère me donne une explication : il n’y en a pas ou du moins il n’y en a plus. Je mitraille les portails, les maisons plus ou moins gracieuses, les fenêtres murées. Puis il pleut à nouveau. Je rejoins Mon Chéri. Tape soigneusement les semelles de mes chaussures avant de monter, sèche mes cheveux, me prépare un café que j’accompagne d’une tranche de cake aux fruits. Les pieds calés contre le frigo, je finis l’article sur ces Russes qui refusent de se faire tuer sur le front ukrainien.  Je les comprends follement. A quoi bon mourir pour des intérêts financiers et l’obsession d’un président ivre de pouvoir. Venir gonfler la liste des héros soit-disant morts pour la patrie est une récompense bien dérisoire. Les monuments historiques participent à fabriquer la fiction des combattants héroïques. Le patriotisme est l’arme des puissants pour convaincre le peuple de se sacrifier à sa place. Et celui qui en doute sera, de toute façon, passé par les armes d’un tribunal militaire. Sur le carnet de notes, ce matin, j’ai écris la phrase du poète boxeur Arthur Cravan disparu en 1918 et qui accompagne d’un sourire en demi-teinte ma lecture de ce soir :  La vie est sans solution.


  • Mon Chéri on the road – 5

    Ce matin le réveil fut laborieux même si, pour une fois, j’ai dormi d’une traite. Café du matin pour revivifier les neurones et réfléchir au contenu de cette chronique. Qu’est-ce qui est important à écrire ? Laisser trace de quoi ? Dire ce qui va ? Ce qui ne va pas ? Le trop à dire m’a toujours embarrassée. Je pourrais parler de mon besoin de nager. Hier encore, baignade dans le lac de Vioreau près de Joué-sur-Erdre. D’abord la nuit solitaire sur le pré qui sert de parking – interdit au campement – mais plus personne pour s’en soucier à cette époque de l’année. Le bruit des animaux diurnes bien moins inquiétant que le moteur de la voiture qui vers deux heures du matin a foncé sur le chemin pour repartir aussitôt, phares qui balaient l’obscurité comme dans un mauvais thriller. Heureusement, la nuit, le fourgon de couleur marron est peu visible et les rideaux occultants me permettent de lire en toute tranquillité. Mon unique peur est d’être repérée par un homme ou un groupe d’hommes pour qui une femme seule est une femme qu’on peut emmerder. Je ne fantasme pas, je lis les journaux, j’écoute les histoires de mes amies et j’ai vécu plus d’une fois cette malheureuse expérience. Alors je me fais discrète, c’était d’ailleurs un critère essentiel dans le choix de mon fourgon : pas de couleurs trop voyantes. Au matin, à travers la vitre arrière, enlacée par ma couette, j’ai regardé  la brume s’effacer lentement de la surface du lac. Quand le soleil s’est imposé, malgré la fraicheur, j’ai été nager au milieu des hirondelles de rivage dont la proximité a rendu l’instant presque irréel (comme dans une scène du film Nomadland). Je n’ai pas osé me baigner nue – un pêcheur pas très loin. Je pourrais écrire aussi sur ma rencontre avec les cinq femmes de La Horde comme elles se sont baptisées. Femmes qui ont uni leurs forces, après des années de galère, pour vivre (bientôt) dans des Tiny House regroupées sur un terrain mis à disposition par la commune de Trignac. Nous avons parlé de la nécessité des nouveaux habitats, du nomadisme et du bien que cela fait de rire et de raconter des conneries. Nous étions installées sur la terrasse de mon bar nazairien préféré Sous Les Palmiers. Je pourrais raconter une nuit d’insomnie à m’interroger sur cette gênante façon de jeter la vie intime des gens dans l’espace public par le biais des médias et des réseaux sociaux où la moindre réflexion, la moindre phrase sortie de son contexte devient scandale ou scandaleuse, permettant le buzz vite remplacé par un autre buzz. Empêchant souvent une réflexion de fond. Quelque chose se raidit dans notre relation à ceux et celles qui pensent différemment, ceux et celles qui merdent, ceux et celles qui ne sont pas toujours politiquement correct.es. Le droit à la justice relégué en second plan. Jusqu’au vocabulaire qu’il faudrait employer au risque de passer pour une vieille militante féministe dont il faut se méfier (sic). Mon âge devenu subitement suspect. Les mots du prêt-à-penser : wokisme, islamo-gauchiste, hétéronormé, boomer, réac … Il en était déjà ainsi avec la dialectique des étudiants de mai 68 et des syndicalistes qui permettait d’identifier rapidement son appartenance de classe et empêchait le débat de s’ouvrir clairement avec les ouvriers (et encore moins avec les ouvrières). Pour preuve le documentaire – Reprise du travail – où une femme exprime son impossibilité de retourner dans l’usine Wonder et que le discours des syndicalistes CGT bâillonnent (A voir ou revoir ici). Je n’ai pas peur de qui pense différemment de moi. Je n’ai pas peur de changer de manière de penser mais j’ai besoin d’en discuter et non pas de m’enfermer dans un discours. Une nuit à tenter de mettre au clair ma crainte d’un monde sous surveillance qui risque de  rendre souterraine toute forme de pensée dites non-acceptable (par qui ?). Ce qui ne peut se dire devient terreau de la frustration et souvent de la violence. Réflexions confuses, j’en conviens, car elles puisent dans un pressentiment plus qu’une réflexion. Pour l’heure, je suis installée dans le camping La Rivière à Segré-en-Anjou-Bleu, cernée par des campings cars qui pourraient contenir quatre fois mon fourgon. Je ne vois jamais les propriétaires qui s’enferment à l’intérieur où derrière des stores tirés bas. Sauf une fois et j’en ai souri un peu en biais :  lui assis qui lit l’Équipe et elle qui balaie le tapis de sol autour de sa chaise (je n’invente rien). En tout cas je dois leur sembler bien manouche avec mon linge qui sèche sur les branches d’arbre, mes chansons de Lola Flores en continu et ma porte latérale grande ouverte. Doivent se demander d’où je viens. Et quand on me pose la question, je ne sais pas toujours répondre car si j’ai une adresse administrative à Lyon, le fourgon est mon seul domicile. La réponse qui pourrait convenir, serait : Je viens d’ailleurs. Une certitude, le soir,  quand je referme la porte latérale du fourgon, je me sens chez moi. Et j’y suis bien.


  • Mon Chéri on the road – 4

    Mon Chéri on the road 4 –  Arrêt à Oradour sur Glane où 643 personnes (hommes, femmes, enfants) ont été massacrées le 10 juin 1944  par les soldats de la division Waffen SS das Reich. Mais c’est dans la commune d’à côté, celle des vivants, (re)construite à la fin de la guerre que je prends mon temps. Je visiterai le village martyr demain. En attendant je marche dans les rues et je me souviens qu’il y a plus de 20 ans, j’étais venue ici pour un projet d’écriture qui ne s’est pas concrétisé. J’avais interviewé un homme dont la famille avait été massacré mais lui survivant parce donné à garder dans le village d’à côté. Se consacrer à la mémoire du lieu était une obsession pour lui. Quelque chose de terriblement triste dans sa voix, dans les traits de son visage. Je me souviens d’avoir écrit : Comment le délivrer ? A l’époque la ville des vivants n’affichait pas de noms de rue seulement des numéros et seuls le blanc et le gris étaient  tolérés pour les façades de maison. Depuis la ville a un peu évolué, quelques couleurs aux volets, des fleurs aux fenêtres, rien d’ostentatoire. Commune (pour) toujours en deuil. Je gare le fourgon dans la rue principale. Je veux dormir là. J’ai besoin de dormir là. Je me fais discrète. Dès 22 heures plus un bruit dans la rue et ma nuit sera agitée par des cauchemars avec pleurs d’enfants. Nuit éprouvante. Je retrouve mon calme au lever du jour. Imaginaires ou pas, les fantômes sont de difficiles compagnons. Au PMU de la rue, je vais boire ma dose de café, le temps d’écrire mes notes du jour. J’aimerais demander à celles et ceux présents dans le bar ce que signifie pour eux de vivre ici, à côté du tombeau ? Il pleut doucement. Je suis la première et unique visiteuse du Centre de mémoire et cela me convient bien. Je marche en silence au milieu des ruines, de la ferraille rouillée, des carcasses de voitures et de quelques objets du passé. Déjà il y a vingt ans, des questions se posaient : conserver tel quel ? Réparer ? Laisser s’abimer les traces ? Mémoire vivante ou mémoire figée ? Et ne soyons pas dupes, le village martyr est devenu la renommée de la  ville. Des panneaux imposent un Recueillez-vous qui m’agace, mais j’imagine que certains visiteurs doivent mal se comporter. La pluie est fine, l’émotion pesante. Je prends quelques photos. Un groupe de retraité.es s’impose dans l’une des rues. Leurs bavardages sont de trop. Je quitte les lieux et retourne dans la ville des vivants et des vivantes. Mon fourgon étant garé devant l’épicerie bio et produits locaux, j’entre faire quelques courses. La présence de cette épicerie est comme un respiration. Élisabeth, née à Oradour, et Laurent l’ont ouverte fin 2019, à quelques semaines du confinement. Lui, entre deux clients, souligne que le poids passé un peu trop prégnant. Une ville qui n’élève jamais la voix. Ils n’habitent pas sur place et je pense : heureusement. Dans le magasin, il  y a du monde et ça papote allègrement. Je repars lestée de quelques provisions puis reprends le volant. Mon Chéri tourne bien et j’ai trouvé par Home Camper un endroit où me poser. Un superbe bord d’étang du côté de Cieux. Par un SMS j’apprends la mort de Bruno Pin, voisin de péniche et créateur de la revue lyonnaise 491 à laquelle j’ai collaboré. Comme voisin, voisine nous échangions livres, CD et enfants. Une belle amitié entre nos deux familles. Souvenirs de soirées dansantes et bien arrosées. Nous étions jeunes. Il était un infatigable travailleur et créatif au tempérament vif. Je pense à la soudaine solitude de sa compagne Fred. Tristesse. Conduire me fait du bien. J’écoute en boucle Les filles du bord de mer chanté par Arno. Un morceau qui s’imposait à chacune des fêtes et nous dansions frénétiquement. Nous frottons les uns aux autres pour sentir le vivant de nos corps ! Vivant !  Et je chante pour qu’éclate la bulle grisailleuse de la journée : C’était chouette les filles du bord de mer Tsoin. Tsoin. Tsoin !!!


  • Mon Chéri on the road – 3

    Tant de choses à raconter et pourtant il faudra résumer. La baignade dans l’Allier avec sur la rive, l’amie de toujours. Sentiment de nager dans une forêt d’eau tant le reflet des arbres dans la rivière trompait l’œil. L’angoisse d’une panne de batterie et que la première personne que j’interpelle est un mécano (une cosse desserrée rien de grave). Il y aura eu aussi le danser, le rire et les plouf dans l’eau à Eymet en Dordogne. Frangin et belle-sœur qui fêtent leur anniversaire. Le canoé partagé avec un petit garçon qui pagaie avec sérieux. Le fourgon que je pose dans le jardin et l’on s’étonne de mon refus de la chambre d’ami. Hier fut jour de départ et de fatigue. Les émotions qui se bousculent en moi, les moustiques hargneux dès l’après-midi, notre première Ministre qui va mettre en place la formation des hauts fonctionnaires aux enjeux de l’écologie (comme dit l’adage : il n’est jamais trop tard pour bien faire – vraiment ?), mes pieds qui se prennent dans le seau et je chute à la sortie du fourgon. Au milieu de nulle part. Un peu sonnée mais rien de grave. Ce que je dois prendre au sérieux c’est le signal donné. Chaque incident, mécanique, physique est un appel à la vigilance. Il est l’heure de faire une pause. La visite du site de Lascaux m’offre une parenthèse passionnante et j’apprécie (évidemment) l’installation qui redonne sa vraie place aux sapiennes. Elles n’étaient pas que gros ventre, peau de bête sexy et cheveux bons à tirer. J’achète deux livres (les livres occupent un coffre entier du fourgon – on ne se refait pas, du moins pas totalement). Je reprends le volant. Chaleur poisseuse. Fatigue. Je ne parviens pas à me décider sur l’endroit où me poser. Je tourne, j’hésite, je m’arrête, je repars. J’ai besoin de sentir des ondes positives pour passer la nuit quelque part. A la sortie de Grèzes (côteaux du Périgord) près d’un petit cimetière, je me pose malgré l’œil scrutateur qu’affiche un panneau : Voisin vigilant. Je salue avec engouement la seule personne que je vois passer, et son sourire est rassurant. Je prends mon temps pour me laver au gant de toilette. Fraicheur de l’eau qui apaise les piqûres. Je mange mon repas de dépannage préféré : gâteau de riz nappé de caramel. J’installe le rideau occultant, positionne une des quatre merveilleuses lampes Led du fourgon, rapproche lunettes, carnet, stylo, livres. Je suis bien. Pas de bruits sauf quelques meuglements de vaches (stabulation à deux cent mètres) et le chant stridulent, léger d’un oiseau. La lune est un croissant mauve noyé dans des nuages gris clair. Je poursuis la lecture d’Errance de Raymond Depardon, livre parfait pour penser ce que je vis. Je découvre aussi  les mots du philosophe Alexandre Laumonier et que reprendra également l’écrivain japonais Akira Mizubayashi dans Petit éloge de l’errance :  » L’errance, terme à la fois explicite et vague, est d’ordinaire associé au mouvement et singulièrement à la marche, à l’idée d’égarement, à la perte de soi-même. Pourtant, le problème principal de l’errance n’est rien d’autres que celui  du lieu acceptable. »  Acceptable, le petit parking de Grèzes car je peux y écrire.  Ces livres m’aident à cerner le sens (ou non-sens) de mon choix de vie. Je pourrai ainsi mieux répondre à ceux et celles qui souvent m’interrogent : Tu vas où ? Tu vas visiter quel pays ? Questions qui me mettent mal à l’aise car loin de ce que j’ai entrepris. Je vais là où je vais même si certaines fois, comme Raymond Depardon, je me pose la question : Qu’est-ce que je fous là ?


  • Mon Chéri on the road – 2

    Cantal, Puy de Dôme et Haute-Loire pour l’essentiel. Retrouver des proches. Rester sobre en  kilomètres. M’arrêter quand je veux, où je veux (ou presque). Et additionner des moments … j’allais écrire magiques, mais cela n’a rien à voir avec de la magie. Plutôt des moments d’osmose (un peu ronflant comme terme). Des moments de joie (mouais). En fait, des moments où rien ne manque : poser son fourgon à l’ombre d’un bel arbre, nager dans le lac de Paladru à la nuit tombante, dormir au bord de l’Allier près du village de Nonette qui offre un point de vue vertigineux à 360°, prendre en photo la lune pleine de nuit, discuter dans une station service avec une jeune femme drôle et serviable, heureuse d’être gérante d’un lieu que personnellement je n’imaginais pas comme un lieu d’épanouissement. A l’orée d’une forêt répondre aux différentes commandes d’écriture et ce qui serre à l’intérieur de savoir tant de forêts brûler ailleurs. Avant de passer quelques jours à Lyon pour déposer le trop d’affaires, récupérer les affaires d’hiver, je me suis arrêtée dans la zone artisanale de St Jeoire de Prieuré pour permettre à Xavier d’installer sur mon fourgon la caméra de recul qui n’était pas prévue au départ et de vérifier avec lui deux, trois trucs concernant l’électricité ou la mécanique du véhicule (apprendre à m’y connaître un peu). L’occasion de discuter, le temps d’un casse-croûte, avec Arman originaire d’Arménie qui vient d’installer son atelier de mécanicien juste à côté de celui de Xavier et que mon métier d’écrivaine rend curieux. Dans la journée, j’ai croisé également un jeune gars venu de Bretagne en bus pour récupérer son Trafic aménagé. Une histoire de séparation alors vivre dans son véhicule en attendant et s’en réjouir malgré tout. Ici, j’écris entourée d’hommes qui travaillent et je m’y sens à l’aise. Souvenirs de  l’enfance où mes frères et leurs copains bricolaient, réparaient, soudaient dans la cour des maisons en buvant des canettes de bière. Un monde d’hommes. Bien sûr des femmes s’approprient ces métiers mais cela reste encore rare. Et très certainement qu’elles le feront différemment. Hier soir, installée je ne sais où qui me plaisait bien, j’ai préparé mon repas en écoutant un podcast sur le quotidien de deux jeunes femmes Afghanes : Inside Kaboul. Deux femmes qui avant la prise de Kaboul par les Talibans voyaient leur avenir de manière optimiste ou, du moins, elles étaient partie prenante de leur destinée. Leur élan de vie a été brisé net du jour au lendemain. Femmes interdites de tout : de corps, de visage, de culture, de travail, d’identité. Prisonnières à l’intérieur d’elle-même. J’écoute et je ressens physiquement ce qui pourrait advenir de ma liberté actuelle. Je suis une femme qui voyage, écrit, conduit, gagne sa vie, vote, se marre, fait l’amour comme bon lui semble. Je suis aussi une femme qui peut résister, manifester, s’indigner lorsqu’on tente de restreindre son espace vital. Ce qui ne signifie pas l’absence d’attention aux autres, même si je reste particulièrement vigilante aux droits des femmes car souvent les États autoritaires, fascistes débutent leur travail d’appropriation par elles. Par leur corps à elles. J’écoute Marwa et Raha raconter leur quotidien et ce qui leur a été enlevé et aussi les moments volés aux Talibans comme écouter de la musique en voiture malgré les interdits. L’une est restée dans son pays, l’autre est partie. Elles n’ont rien choisi. J’écoute – devant moi les collines sombrent dans le bleu de la nuit – Je suis vivante et mon cœur bat pour elles. C’est peu. Je sais.


  • Mon Chéri on the road – 1

    Près de 15 de jours que je vis dans mon fourgon et j’ai l’impression que cela fait depuis toujours. Je parcours de courtes distance dans le Roannais,  le Forez et le Puy de Dôme. Éviter le tourisme de masse et trouver de l’ombre. Un vrai défi. Entre Charlieu et Chauffailles, je me pose chez un couple d’ami.es, refusant la chambre douillette gentiment proposée. Trois nuits sur le parking de l’église qui sonne régulièrement les heures et les demi-heures. Lui a solutionné mon problème électrique, un fil arraché par une branche empêchait le panneau solaire de charger. Un incident instructif pour mieux comprendre comment fonctionne  l’électricité dans mon fourgon. Le lendemain, je m’achète une jolie visseuse, une pince coupante et un assortiment de clous et de vis. Maintenant je sais quels boitiers, quels raccords il faut vérifier. Déjà que j’ai baptisé la porte latérale du fourgon avec un belle bosse. Un virage trop serré et vlan. Je me suis arrêtée au bord de la route et j’ai chialé avec une forte envie de tout laisser tomber. Déjà que j’ai un foutu mal de dos à rouler tendu comme si j’allais à l’échafaud (L’escargot a-t-il toujours conscience de porter sa maison sur le dos ?). Puis je me suis posée dans le camping municipal de Noirétable parmi les caravanes et les tentes. La taille de mon fourgon me permet d’éviter les parkings à camping-cars qui me rendent très vite bougonne. Quelques longueurs dans le plan d’eau de la Roche m’ont aidée à retrouver du calme. Xavier, mon fourgonniste attitré me conseille à distance. J’ai une sacrée chance d’avoir un tel soutien. Petit à petit je trouve le bon rythme et le plaisir de vivre ainsi. Un réveil dans une lumière rasante, la visite d’un chien curieux, le ciel d’étoiles chaque nuit et une merveille de solitude au pied des ruines du château de Couzan (voir la photo). J’apprivoise ma nouvelle vie, j’apprivoise mon espace restreint (environ 4 mètres carrés), j’apprivoise ma mobilité, j’apprivoise l’animal mécanique et je me répète que je ne suis pas en vacances, qçççue vivre dans ce fourgon est mon quotidien et que je n’ai aucune obligation de bouger, ni de rester dans un même lieu. Je fais comme je veux. Même si, pour ne pas consommer stupidement du gasoil, je m’impose des trajets courts et me déplace obligatoirement à pied ou en stop pour faire les courses quand le fourgon est posé. Bientôt j’aurai un vélo pliant. Je retrouve les rituels de la Caboulotte : essayer de me lever à 7h, gym puis écriture. Préparation du repas. Sieste surtout quand il fait trop chaud. Marche ou écriture. Observation de mes congénères dont je me dis que le changement climatique, la sécheresse ne semblent pas toujours les concerner. Une piscine qui se remplit d’eau à l’écart d’un chemin, des douches interminables dans les sanitaires du camping, des vaisselles voraces en eau à vouloir soigneusement rincer le produit chimique qui promet pourtant propreté. Sans parler des articles de journaux dont le leitmotiv est –  ça y est, on y est ! – Ah bon ? Constat désabusé, presque surpris alors que nombre de chercheurs et chercheuses nous mettent en garde depuis plus de trente ans. Je lis également que sur les océans et les mers, les monstrueux bateaux de croisière (340 mètres de long, 60 mètres de haut) baladent encore  la bêtise humaine. Bateaux construits dans les chantiers navals de Saint-Nazaire que je chéris pourtant. Je grogne à nouveau mais comme je suis seule cela finit par passer. Du vent se lève, le ciel se couvre. La terre a soif. On espère de l’eau. Et elle va tomber. Je vais vivre ma première pluie à l’abri dans le fourgon. Mon premier coup de froid aussi. J’habite ici qui est toujours ailleurs.


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