Déplacement - le mot s'est imposé alors que je me rendais à Vénissieux en tramway. Ce nouveau mode de déplacement (justement) m'invitait à entrer dans la ville différemment. Elle semblait s'être rapprochée de Lyon. A ce moment-là, je ne savais pas encore que l'Espace Pandora me proposerait une résidence (elle devrait se dérouler de septembre 2010 à avril 2011, à raison d'une semaine par mois). Je ne savais pas, je regardais la ville et j'avais plaisir à m'y déplacer. Depuis le mot déplacement poursuit son chemin dans ma préparation pour cette résidence. Il y a tous les déplacements physiques que propose la ville et qui peuvent inscrire chacun de manière singulière dans l'environnement : qui est celui qui se déplace ? pourquoi se déplace-t-il et comment ? est-ce forcément rester sur place lorsqu'on ne se déplace pas ? Bien sûr l'idée des déplacements intérieurs offre aussi un champ d'exploration intéressant : décentrer son regard, s'obliger à penser différemment, sans oublier la diversité de la population vénissiane qui vient raconter son lot de déplacements de territoires.
Déplacement, un mot qui met en mouvement le corps et la pensée. D'ailleurs, ce matin comme il faisait beau (vent qui déplace les nuages et fait jouer la lumière), j'ai remonté à pied la ligne de tramway qui longe le quartier des Etats-Unis et débouche sur Vénissieux avec son Asia Market, Carrefour Géant et un désordre d'usines, de cheminées, de voies ferrées et petites maisons qui rappellent l'intense activité industrielle et artisanale de la ville (quelques images visibles sur ma page Obsession Usine). J'y ai marché près de trois heures, un peu enivrée par la beauté de la lumière et la diversité des perspectives. Le résultat photo m'a déçu - savais-je exactement ce que je tentais de cadrer ? Une belle lumière est une alliée mais il manquait un regard. La résidence me donnera l'occasion d'y retourner. De m'y déplacer. Et de trouver ce que je ne cherche pas encore.
Le monde dans lequel je me déplace, dans lequel je travaille, dans lequel je partage le thé ou le café, dans lequel je prends des photos, dans lequel je tente l'écriture ne ressemble pas à celui qui me parvient à travers les médias. Cette mise à l'étroit d'un monde frileux et apeuré où un jeune devient les jeunes, un noir les noirs, un basané les arabes... L'événement oblitère la diversité, la lenteur des rencontres, des projets, des tentatives. Dans le monde que je partage avec bien d'autres, je croise Alexandre qui soigne les vieux des maisons de retraite, Marouwane qui sait ce qu'est un acrostiche, Leila qui offre des crêpes au gardien de l'immeuble, Mireille qui ouvre sa porte plus grande que celle de son pays, Ariana qui écrit de la poésie pour supporter sa vie sans père et sans repères, Ugür qui raconte la poésie turque... Je pourrais faire une liste étourdissante de ceux et celles qui ne font pas l'événement mais donne du contenu aux jours. La chasse à l'événement distille une peur vaine et stérile. Parfois il suffit de dire bonjour pour que l'autre vous réponde bonjour à son tour. S'il y a des petites gens comme l'on dit, j'aime partager ma vie, mon monde avec les petites gens. J'aime être une petite gens. J'aime alors me simplifier la vie.
J'ai rencontré Mateja Bizjak Petit au Centre Artistique de Tinqueux - elle y a entendu ma lecture de Stimmlos / Sans voix. Elle en traduit actuellement une partie en Slovène pour une anthologie de poètes femmes françaises (Je me demande dans quel sens il faut aligner ces trois mots pour faire identité ?) Ce texte interroge ma relation à la langue allemande (la langue de ma mère qui est venue vivre en France après la deuxième guerre mondiale) - la langue des perdants à cette époque. Cette relation à la langue allemande devrait résonner de manière singulière en Slovénie, pays qui a connu l'occupation allemande et autrichienne. Mateja a choisi de garder les passages écrits en allemand, tel que. Dans un mail, elle m'explique que femme allemande se dit Nemka en slovène (les deux mots reviennent souvent dans mon texte) - Nem signifie aussi muet. Le hasard des traductions qui donne encore une autre ampleur à mon propos. Depuis quelques semaines je retrouve donc avec plaisir ce texte que je vais lire Samedi 13 mars au NTH8 en compagnie du violoncelliste Marc Lauras. @dernièremiseàjouvrendredi12mars2010etlireaussiLacentralesurObsessionUsine
D'abord le travail en atelier que j'aime mener avec la comédienne Anne de Boissy au NTH8 - Un thème : chaussures, et le groupe que l'on embarque dans un va-et-vient entre table d'écriture et mise en voix, en jeu. Ne pas laisser le temps à la routine, aux clichés, aux habitudes de s'installer. dans les textes et les corps. On remet en jeu tout le temps - justement. Et cela fonctionne bien. C'est étonnant. Juste. Le week-end passe vite. Trop vite. On aimerait une journée encore pour approfondir. L'étrange surgit plus tard. D'abord la neige qui nous entoure, alors que le printemps ... puis ce livre que je prête à Anne, Hécatombe de Cécile Philippe et mes paroles : c'est une écrivain lyonnaise que j'aime bien... mais je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Le soir même un ami m'apprend qu'elle est morte. Enterrement, il y a quinze jours. Personne ou si peu de présence pendant la cérémonie. Elle était écrivain et journaliste culturelle sur France 3 Rhône-Alpes, il y a quelques années. Elle n'était pas seule alors, entourée de ceux qui parlent avec du miel dans la voix quand vous leur ouvrez la porte des médias. Elle a tourné un documentaire sur Louis Calaferte dont je me souviens, elle le connaissait bien. Ses cheveux coupés ras qui étonnaient à l'écran. Sa voix rauque et ses choix culturels affirmés - elle impressionnait. Elle n'était pas seule ou du moins entourée. Elle est morte. Je l'apprends dans la sécheresse d'un coup de fil malgré la voix tremblante de l'ami, Frédérick Houdaer qui donnait parfois des nouvelles d'elle sur son site. Et je m'étonne du hasard qui m'a fait exhumer ce matin, Hécatombe, de mes piles de livres en désordre qui encombrent mon couloir.
Tinqueux- architecture de ville nouvelle qui vient s'adosser à Reims. Habitations plus qu'habitants. Longueurs de rues qui ne parviennent pas à se définir un centre. Rond-points qui malgré l'arrondi prolongent la ligne droite. Dans la trouée d'un ensemble d'immeubles, les deux tours de la cathédrale. Déjà la gare Champagne-Ardennes qui donnait l'impression de s'arrêter en plein champs et c'était vrai. Le ciel qui prend toute sans ampleur dans la plaine puis la surprise d'une remontée de vignes. Etrange sensation que de se retrouver en un tel lieu. Et pourtant le Centre culturel qui offre d'abord un public d'enfants : c'est déjà bien d'écrire de la poésie. Puis le soir, ceux qui semblent venir de nulle part tant la géographie des lieux restent un mystère pour moi, et qui écoutent, interrogent ce que je suis venir lire avec le peu de voix qui me reste. Stimmlos encore une fois et pourtant bien là. Et l'on m'a invitée à écrire pour un joyeux et vital manifeste : le droit à être dans la lune !
Le papier résiste au livre. La page se courbe et c'est beau mais cela ne peut passer à la machine. Alors le texte patiente et la feuille rend l'eau sous la presse. La photo est belle, l'ensemble comme une sculpture et l'on voudrait presque garder la forme. En rester là. Le texte vivrait ailleurs. Finira bien par rendre le jus, ce papier, et le texte pourra s'imprimer en un gris mesuré. Livre d'artiste qui se vit dans la précision de la matière. Livre précieux qui m'impressionne moi qui trimballe le corné, le plié, le taché de mes textes dans le sac à main. Livres lus et relus pendant les rencontres et les ateliers. Livres rompus. Et celui-là qu'il faudra prendre avec des gants et peut-être agrandir le sac à main pour acceuillir le bel objet.
Ma petite résidence à Givors prend fin - Restitution des textes par la Cie Locus Solus, le 27 mars à la médiathèque (11h pour être précise). Textes qui interrogent le rapport à la langue française, au langage. Jeunes, moins jeunes et étrangers qui ont accepté de dire ou écrire, ce qui fait une langue - maintenant. A lire ici. Givors, ville qui s'étire le long du Rhône et qui à la particularité d'avoir deux arrêts de gare, Givors-ville, Givors Canal, ce dernier arrêt a toujours beaucoup fait sourire les lyonnais (sans que j'en comprenne le sens exact). Ville qui ne fait pas rêver, mais qui abrite des gens heureux d'être là (je souligne, car il est des villes et des banlieues qui ne sont pas des bannissement, justement). Certains participants me l'on dit ou écrit. Une ville à qui il manque un centre, même si le marché réunit, entre hôtel de ville et médiathèque, sa population métissée, deux fois par semaine. Une ville singulière avec sa Maison du fleuve Rhône et sa rue Malik Oussekine, étudiant tué par des policiers (condammnés pour ces faits) lors d'une manifestation contre la loi Devaquet en 1986. Toutes les villes ne commémorent pas cette bavure. Givors et sa Cité des étoiles bâtie par l'architecte Jean Renaudie, assemblage étrange et sympathique de logements, de commerces, un théâtre, une médiathèque qui assume les angles aigus et le béton. Givors la ville du Rhône, la ville du canal. La ville qui reçoit une écrivain.
Prends avec tes lèvres
Je dirai les mots que tu veux entendre
Sublime, obscène, je donne
Plus nue qu’en l’absence de vêtements
Mon déhanché à l’assise de tes jambes
Qui insiste sur ce que je veux
Travail à deux. Dessins. Texte. Un livre prend forme. Texte et dessins qui avancent à leur rythme. S'écoutent, se voient mais ne s'illustrent pas. Infographiste, éditeur - imprimeur qui prennent le relais. Minutie. Patience. Un livre se finalise jusqu'à la pointe d'une virgule, jusqu'à la précision des plis du papier. Sublime 0bscène, le titre qui affirme et interroge. Les dessins sont de Dany Jung. Encres, crayon et sanguine. Editions Eric Linard.